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3 août 2012

Débattre sans a priori

Dans le rapport de la commission sur le coût de l'électricité, l'auteur du rapport proclame son attachement à un débat sans a priori sur la question du nucléaire et d'en étudier tous les aspects. Bizarrement, ce chapitre se limite aux questions de vieillissement du parc, des déchets radioactifs, des risques d'accidents et de leurs coûts. Tout aussi curieusement, le stockage d'énergie par électrolyse de l'eau n'envisage comme source d'énergie que les renouvelables intermittents.

Toujours dans un esprit ouvert, on nous présente 3 scénarios de production électrique qu'on peut résumer grâce aux 3 graphes servant à les présenter. Scénario Sobriété Scénario Intermédiaire Scénario nucléaire Le premier scénario, dit «sobriété», propose de sortir du nucléaire le plus rapidement possible en se reposant pour une bonne part sur les énergies renouvelables intermittentes, solaire et surtout éolien. Le scénario «intermédiaire» propose une division par 2 de la production nucléaire à horizon 2050. Le troisième, dit «nucléaire nouvelle génération», propose d'augmenter légèrement la production nucléaire au niveau actuel et d'augmenter la production totale d'électricité de 150TWh — soit environ 25% de la production actuelle.

On s'aperçoit donc que l'auteur n'envisage pas que la production nucléaire augmente encore beaucoup, ni même une forte augmentation de la production d'électricité provenant de sources décarbonées. Pourtant, le bilan énergétique de la France pour 2010 montre qu'on a consommé pour 1500TWh de combustibles fossiles en 2010 (p34). Comme il faut diviser cette consommation par un facteur 4 au moins pour cause de réchauffement climatique, remplacer une part substantielle des énergies fossiles par des sources non carbonées est sans doute une nécessité. Or, les sources dont on peut augmenter la production permettent principalement de produire de l'électricité. Certes, aucun scénario précis n'a peut-être été présenté par un des intervenants, mais au moins un, Jean-Marc Jancovici, était favorable à une telle issue.

Dans ce cadre, les 2 autres scénarios paraissent extraordinairement restrictifs puisqu'ils feraient a priori porter tout le poids de la sortie des énergies fossiles sur des économies d'énergie auxquelles ils rajoutent la nécessité de se priver d'une part au moins de l'énergie nucléaire actuellement disponible. Le premier scénario est aussi très surprenant. Il est dit dans le texte qu'il faudrait compter sur un développement important du stockage: des ressources importantes devraient être consacrées à la recherche et à la mise en oeuvre d'infrastructures de stockage d'énergie. Or le développement sur l'électrolyse de l'eau ne laisse envisager qu'un rendement extrêmement faible, inférieur à 35% ce qui grèverait fortement l'intérêt du stockage dans un tel scénario où l'énergie serait sérieusement rationnée. On ne voit pas aussi quelle importance aurait le stockage d'énergie sur le graphique. L'aspect stockage est aussi ignoré quand il s'agit de passer au chiffrage des coûts.

Un autre point attire l'attention: en regardant bien, ce premier scénario est celui où la production d'origine fossile est la plus importante. Dans le texte, on dit aussi que ce scénario suppose la construction de nouveaux équipements de production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelable mais aussi très probablement, du moins tant que les technologies de stockage ne sont pas matures, de centrales à gaz. Il s'agit d'une part de compenser l'intermittence des sources d'énergie renouvelable, d'autre part de fournir une électricité de complément si le rythme de développement de celles-ci n'est pas suffisant. Dit autrement, cela ne pose pas vraiment de problème aux tenants de ce scénario que les émissions de CO₂ ne soient pas minimisées. En clair, le problème du réchauffement climatique est moins important que le risque pris avec le nucléaire. C'est une position étonnante, puisque le stockage de l'énergie peut remplir exactement les fonctions que remplissent actuellement, en France, les combustibles fossiles dans la production d'électricité: faire face aux périodes de forte consommation et aux inattendus. Ce scénario devrait donc être celui de la vertu énergétique, celui où les combustibles fossiles sont totalement éliminés.

On ne surprendra personne en disant que, dans sa conclusion , le rapporteur Vert de la commission annonce que ce premier scénario a sa préférence. On peut donc en déduire les priorités qu'ont les Verts: sortir du nucléaire est plus important qu'éviter le réchauffement climatique, pourtant considéré comme porteur de bouleversements considérables de la nature par le consensus scientifique. Vraiment, pour débattre du nucléaire ou, plus exactement, de sa sortie, il ne faut avoir aucun a priori ni aucun tabou.

7 juillet 2012

L'échec de la concurrence dans le domaine énergétique

Il y a quelques jours Le Monde publiait un article qui revenait sur le peu de succès des opérateurs alternatifs aux monopoles de fait dans la fourniture du gaz et de l'électricité, GDF et EDF. On peut retirer de l'article qu'aller voir la concurrence représente en fait peu d'intérêt — à peine quelques pourcents sur la facture dans le meilleur des cas — à cause de la prééminence de coûts régulés encore forts présents et de la compétitivité de l'électricité nucléaire. Les perspectives d'avenir tracées à la fin semblent considérer que cet état de fait va durer à moins qu'une tarte à la crème prenne subitement de l'importance: que des clients paient pour être au service des producteurs pour recevoir des conseils sur comment mieux consommer.

Il me semble qu'il est important de revenir sur les raisons probables de cet échec et de le comparer avec le succès de l'ouverture à la concurrence des télécoms.

Les raisons du succès de la concurrence dans les télécoms

Au début des années 90, l'UE a décidé d'ouvrir les marchés des télécoms à la concurrence. Dans un premier temps, cela a concerné les minutes de communication. On pouvait alors choisir un opérateur qui facturerait moins cher les minutes de communication. Cela reposait en fait, au départ, sur la capacité des opérateurs alternatifs à acheter en gros les minutes de communication puis de les revendre au détail, sans être encombré par les dépenses de personnel de France Télécom. La liberté de tarification de France Télécom sur le marché de gros était réduite de façon à ce que les concurrents puissent s'installer, un peu à la manière dont comptent agir les autorités communautaires sur le marché de l'énergie. Mais, moins de 20 ans plus tard, cet aspect est marginal sur le marché des télécoms: le véritable succès vient d'ailleurs, de profonds changements technologiques.

Le premier changement qu'on peut nommer est l'arrivée à maturité des technologie de transport de l'information par fibre optique. Au début des années 90, ce n'était pas vraiment une nouveauté, le principe était connu depuis 20 ans, mais les progrès ont été si rapides, tant dans les matériaux que dans les techniques de modulation et de multiplexage, que le coût de transport de l'information est devenu nettement plus intéressant. Les fibres sont maintenant incomparablement transparentes, il faut faire parcourir de l'ordre de 15 à 20km pour que le signal perde la moitié de son intensité. Les techniques de modulation ont permis d'augmenter le débit sur un seul canal, les techniques de multiplexage ont permis de multiplier les canaux sur une seule fibre. Il est aussi relativement facile de déployer un réseau de fibre optique: on peut suivre des axes déjà bâtis comme les autoroutes, les voies de chemin de fer; il n'y a pas de grands travaux de BTP à mener, il s'agit en général d'une simple tranchée à creuser sur le bas-côté avec des guitounes pour réamplifier le signal de loin en loin. On peut aussi installer les lasers nécessaires au fonctionnement des canaux au fur et à mesure des besoins, ce qui limite le coût d'investissement initial. Il n'y a aussi aucune opposition au déploiement de ce réseau vu sa faible empreinte. Bref, il est devenu possible de transporter de grandes quantités d'informations sur grandes distances, à un coût raisonnable, sans grandes difficultés d'installation. Cela a permis à de nouveaux entrants de construire leur propre réseau qu'ils ont pu rentabiliser en quelques années.

Le deuxième changement est l'arrivée de l'ADSL. Cette technologie permet d'utiliser le réseau existant pour faire passer nettement plus d'information. Ce réseau étant déjà largement amorti et régulé pour la phase téléphonie classique, cette technologie est peu coûteuse. Le plus dur est d'arriver à ce que des firmes autres que le monopole aient accès au répartiteur pour y installer leurs équipements. Le développement concomitant d'Internet permet d'avoir une demande pour ce type de technologie: finalement, les clients sont prêts à payer plus pour un nouveau service. Les nouveaux arrivants peuvent aussi proposer des services combinés avec Internet, téléphone illimité & télévision: de toute façon le coût marginal de l'octet échangé est pratiquement nul, il s'agit surtout de convaincre les clients de payer les coûts d'investissement dans un premier temps.

Le troisième changement est la téléphonie mobile. Avec la téléphonie mobile, plus besoin de construire un réseau filaire local puisqu'on utilise des bornes radio. Ça permet d'introduire de la concurrence parce qu'installer des bornes radio est moins cher que de construire ce réseau local. Le réseau à longue distance est, lui, construit grâce à la fibre optique. Une nouvelle fois, on apporte un service supplémentaire aux clients, qui sont prêts à payer pour. Les téléphones portables sont devenus des objets communs sans qu'on ait forcé qui que ce soit. Avec les offres à 2€/mois, les offres mobiles sont devenues bien plus compétitives que les offres filaires si on veut «juste» téléphoner. Installer des bornes téléphoniques est devenu un peu plus compliqué dernièrement à cause d'hurluberlus, mais ils ont arrivés trop tard pour empêcher le décollage d'une invention qui est indéniablement profitable à la société.

Au final, la libéralisation des télécoms a été un succès grâce à l'apparition de nouveaux services rendus possibles par des changements technologiques. Cela ne veut pas dire que les sociétés ne formeront pas des oligopoles peu concurrentiels à l'avenir — comme le montre l'exemple de la téléphonie mobile avant l'arrivée de Free ou l'ADSL ailleurs qu'en France — mais qu'en phase de changement technologique, la concurrence peut accélérer les choses et répandre des technologies de façon très rapide. Mais ça ne marche bien que si les clients sont prêts à payer pour ces fameux services supplémentaires. On peut aussi voir que la question des tarifs du téléphone a presque disparu de l'agenda récurrent des politiques: personne ne hurle contre les hausses de tarifs, on constate plutôt des baisses de prix à service constant sous la pression du changement technologique. La demande pour les nouveaux services suffit à rentabiliser rapidement les investissements comme le montre le cas de Free, l'intervention publique est relativement limitée et souvent très technique.

Le cas de l'énergie

Les cas du gaz et de l'électricité sont très différents.

Le gaz est un type d'énergie dont on aimerait se passer pour cause de manque de ressources et d'ennuis climatiques. On n'attend pas non plus de rupture technologique dans le transport du gaz. Investir dans le réseau n'est donc pas forcément très intéressant. Il y a par contre des nouveautés dans la production, avec les gaz non conventionnels qui pourraient résoudre les problèmes d'approvisionnement ... mais aggraver le problème du réchauffement climatique s'ils ne font que s'ajouter aux ressources existantes. Une certaine opposition est aussi apparue contre ce mode de production. L'extension du réseau d'électricité, notamment à haute tension, rencontre une opposition intense de la part de ceux qui habitent à proximité. Impossible donc d'étendre ce réseau sans planification ni implication forte de l'état. Là non plus pas vraiment de rupture technologique en vue: les supraconducteurs ne sont pas spécialement bon marché. Contrairement aux télécoms, il n'y a pas à attendre grand chose de ce côté. La distribution de gaz et d'électricité reste pour l'essentiel et pour le futur prévisible un monopole naturel. C'est d'ailleurs pensé comme tel: les réseaux de transport de gaz et d'électricité sont considérés comme des monopoles naturels à réguler séparément du reste. Pour ce qui est des réseaux locaux, ils sont vus comme les réseaux d'adduction d'eau: des réseaux à concéder — ou pas — qui ne sont rien d'autre qu'une juxtaposition de monopole naturels locaux.

Les fournisseurs finaux pourraient penser procéder comme pour les minutes de téléphone: acheter en gros et vendre au détail, en voulant profiter de moindres frais d'organisation pour être plus compétitif que le monopole naturel. Malheureusement, cette voie est aussi largement barrée: alors que le coût marginal d'une minute de téléphone est très proche de 0, ce n'est pas le cas du m³ de gaz ou, en général, du kWh d'électricité. Les gains d'échelle sont donc fondamentalement limités. On se retrouve rapidement à devoir demander l'intervention de l'état, face à laquelle le monopole en place peut montrer que ses coûts marginaux sont bien réels. On se retrouve au bout du compte avec une tarification qui ressemble plus ou moins à ce qui présidait avant avec la facturation des coûts moyens. Ce n'est donc pas un hasard si on a vu apparaître l'ARENH, prix et conditions diverses fixés par l'état pour l'électricité nucléaire qu'EDF doit vendre à ses concurrents.

L'autre voie serait de vendre des services supplémentaires. Mais on voit mal quels services nouveaux sont permis par la fourniture d'électricité et vraiment demandés par les clients. On parle beaucoup des smart grids dans ce domaine. Cependant les fournisseurs finaux n'installeront sans doute pas les nouveaux compteurs: il faut s'assurer de la compatibilité mutuelle des équipements et les temps d'amortissement sont plutôt comparables avec des activités de réseau. Ils se contenteront donc des services. Ils proposeraient aux clients de moins consommer: on voit mal ce qu'ils apporteraient de plus que les services d'un architecte ou d'un artisan faisant des travaux chez soi. On voit aussi mal comment ils se rémunèreraient différemment d'un architecte dans ce cas: après les travaux, les volumes vendus diminueraient. Pour le gaz, c'est le service qui semble possible, vu que la diminution de la consommation est l'objectif officiel. Pour l'électricité, les choses sont un peu différentes: là, les smart grids prennent un tour plus orwellien. Il s'agirait de déplacer la consommation pour éviter les pointes ou carrément pallier aux insuffisances de production, qui sont plus ou moins regroupées sous l'appellation consommer mieux. On se doute que s'il s'agit de ne pas pouvoir regarder le match de foot sur son écran plat, le client risque de ne pas être convaincu par l'amélioration. Il faut donc disposer de consommation qu'on peut déplacer et actuellement, il s'agit essentiellement du ... chauffage électrique. Ce point est d'ailleurs parfois pris en compte par certains scénarios "100% renouvelables". C'est aussi l'idée qui fonde le tarif heures pleines - heures creuses en France. On note toutefois une certaine différence entre les désirs des promoteurs du consommer mieux et la réalité que semble devoir impliquer le concept. Étant donné l'opposition au chauffage électrique dans certains milieux politiques et la faisabilité du reste, il me semble que cette idée de vendre des services supplémentaires soit vouée à rester d'une ampleur limitée.

Si on veut une concurrence dans le domaine de l'énergie, la question des prix de production — donc des moyens — semble donc incontournable.

La vexante question des prix et des coûts de production

Lorsqu'on se tourne vers la question de la production, on s'aperçoit qu'en fait, sur ce sujet, il n'y a jamais eu de monopole légal de la production tant de gaz que d'électricité. La seule production significative de gaz sur le territoire français a été le gaz de Lacq. La conséquence a été que dans le Sud-Ouest, le réseau de distribution de gaz est organisé autour de l'ancien gisement et toujours détenu par l'exploitant de celui-ci, Total, qui l'a hérité d'Elf. Ce gisement ne suffisant pas à satisfaire les besoins français, on a procédé à des importations. De toute façon, le gaz étant une énergie régionale et substituable au pétrole, les prix de la matière première sont déterminés sur les marchés internationaux. Et pour l'Europe, la tendance semble être à la hausse des prix. En effet, l'exploitation des gisements de la Mer du Nord décline, actuellement lentement, mais ce déclin s'accélèrera après 2020-2025. La Russie a déjà du mal à fournir toutes les quantités demandées. Faire venir du gaz par méthanier coûte relativement cher à cause du processus de liquéfaction qui est gourmand en énergie. Enfin, le gouvernement français a interdit — pour l'instant du moins — d'exploiter d'éventuels gisements de gaz de schiste. Face à cette contrainte sur les volumes à consommer, la demande ne faiblit pourtant pas, le gaz étant de plus en plus employé à la place du charbon pour produire de l'électricité car il pollue moins et s'adapte mieux au contexte réglementaire et politique européen. Le gaz est aussi de plus en plus demandé dans les pays d'Asie. Le prix de l'énergie étant un sujet majeur de la politique, les différents gouvernements s'acharnent à ignorer ces réalités et cherchent à bloquer les prix, sans égards pour les conséquences. Dans ce contexte, on voit mal comment pourrait se développer la concurrence: l'ancien monopole est forcé de proposer des tarifs inférieurs aux prix qu'imposeraient les marchés internationaux. Pourquoi quitter le fournisseur qui propose les prix les plus bas et sera le dernier à augmenter ses tarifs?

Pour ce qui est de l'électricité, de même, il n'y a jamais eu de monopole de production. L'exemple le plus frappant est celui de la Compagnie Nationale du Rhône qui a échappé à la nationalisation après la Libération. Ainsi en est-il aussi d'autres barrages. Reste qu'EDF pouvait connecter les centrales un peu comme bon lui semblait, mais avec l'ouverture à la concurrence, les risques de discrimination ont disparu. Aujourd'hui, le problème vient qu'à peu près tous les moyens neufs de production ont un coût moyen du kWh produit supérieur aux prix du marché: personne n'a donc vraiment envie d'en construire sans subvention, ou qui conduit ceux qui s'y sont risqués à la faillite. Ce problème est amplifié en France par l'importance du parc nucléaire: comme le prix de l'électricité nucléaire ne dépend que marginalement du prix du minerai, les prix de vente aux particuliers, fixés par l'état, ont faiblement varié par rapport à d'autres pays comme le montrent les graphes ci-dessous. prix_elec_ttc.jpg prix_elec_ht.jpg Les prix hors taxes reflètent le plus fidèlement les prix du parc déjà installé au début des années 2000: on voit qu'EDF échappe à la hausse généralisée à partir de 2005 du fait de sa faible dépendance aux combustibles fossiles. Comme c'était rappelé dans l'article du Monde, les autres producteurs ne peuvent pas rivaliser avec le parc nucléaire. Ce n'est pas seulement dû à l'amortissement du parc, mais aussi au fait que tous les concurrents commenceraient par construire des centrales demandant des investissements moindres: difficile pour un nouvel arrivant de dépenser plusieurs milliards d'euros avant de se constituer une clientèle.

Cette importance des investissements dans l'industrie électrique se retrouve aussi dans le modèle imposé par la Commission. Pour empêcher que le monopole en place n'interdise l'entrée de concurrents, elle a poussé pour que la facturation de la production d'électricité se fasse en fonction du prix spot et a entravé les contrats à long terme. Dans le cas contraire, il aurait suffi à EDF de faire signer des contrats à long terme aux industriels pour enlever tout espoir de développement à la concurrence. De ce fait, pour minimiser les risques, le mode de production privilégié sera celui qui nécessitera le moins de nouveaux investissements et dont le coût marginal sera donc proche du coût total. Cela permet de passer assez facilement les hausses de tarifs aux clients — puisque le coût marginal se reflète dans le prix spot — et d'éviter les risques de pertes en capital. Cet état de fait est très bien expliqué dans ce papier de William Nuttal. Le seul point qui peut perturber cet attrait du gaz est qu'il y a besoin d'une corrélation entre le prix du gaz et de l'électricité, qui a tendance à disparaître lorsque le parc nucléaire est important. Une autre conséquence de la libéralisation est la faible planification pour remplacer les moyens de production existant et leur utilisation maximale: investir représente un risque conséquent et un coût à faire assumer par les clients. Et après de longues années, quand vient le temps de remplacer de vieilles centrales, par peur du black out, on voit le gouvernement anglais changer quelque peu de position.

À la suite du contre-choc pétrolier et la mise en exploitation du gaz de la Mer du Nord, le gaz est devenu très compétitif au Royaume-Uni, d'autant que les sources locales de charbon se sont taries. Tant ce prix intéressant que les faibles besoins en investissements ont fait que le Royaume-Uni tire aujourd'hui presque 50% de son électricité de turbines à gaz à la suite de la libéralisation du secteur de l'électricité. À la fin des années 90 et du début des années 2000, les spécialistes du gaz expliquaient que les CCGTs étaient la moins chère des façons de produire de l'électricité, ce qu'on peut voir sur les graphes de prix: les pays spécialisés dans le gaz ont les prix HT les plus bas au début des années 2000. On comprend bien alors le bénéfice que voyait la Commission à libéraliser le secteur: on pouvait voir là une source de baisse de prix. Depuis, les choses ont quelque peu changé et, même s'il en émet moins que le charbon à énergie égale, les émissions de CO₂ dues à la combustion du gaz le rendent indésirable à terme. Le méchant monopole EDF a donc vu le choix du nucléaire dans les années 70 payer de nouveau quand sont réapparues, après 2005, des circonstances similaires au choc pétrolier ayant présidé à ce choix.

En plus de cela, les prix TTC montrent que l'action des états n'est pas neutre non plus: certains états affichent une forte différence entre les prix HT et TTC, notamment l'Allemagne. On aura reconnu les pays qui se sont lancé dans une politique de productions renouvelables. Comme elles sont fort chères et que leurs production ne sont pas corrélées à la demande et très intermittentes, personne ne les construirait sans subventions. Le mode de subvention choisi est la vente à un prix garanti. Aucune concurrence n'est donc possible: tous les producteurs vendent à ce prix garanti, l'état lève la même taxe sur tous les particuliers quelque soient les fournisseurs finaux. Ces modes de production partagent avec le nucléaire le fait d'être des industries à coûts fixes qui se prêtent très bien aux contrats à long terme ou aux tarifs régulés, des modes de rémunération plutôt centrés sur le coût moyen que le coût marginal. Et c'est pourquoi, en Allemagne, des voix se font entendre pour que les règles changent et que la Commission change de position sur la question de la tarification pour favoriser les renouvelables.

Quelques conclusions

Le projet de libéralisation de l'énergie reposait au fond sur une situation de fait qui a depuis changé: le faible prix des combustibles fossiles et notamment du gaz. Mais comme l'approvisionnement en gaz se fait plus incertain et que les préoccupations climatiques occupent, au moins officiellement, le devant de la scène, l'intérêt est devenu clairement douteux. À ce moment, dans les années 90, la technologie de la turbine à gaz semblait devoir s'imposer définitivement et elle est très adaptée à un marché libéralisé: faible investissement, coût dirigé par le prix du combustible.

Malheureusement, le fait que le prix de l'énergie soit un sujet récurrent du débat public empêche, au moins en France, de suivre les soubresauts du prix du gaz imposés par les marchés financiers. Aucun concurrent ne peut s'implanter: l'ancien monopole est forcé de mener une politique de prix bas, voire de vendre à perte en période de forte hausse. Pour ce qui est de l'électricité, on comprend bien que dès lors que le nucléaire, et surtout les centrales de Génération II déjà construites, devient extrêmement compétitif, seuls les moyens subventionnés sont construits. On voit donc mal sur quoi se jouerait la concurrence et on voit même des industriels demander à payer pour assurer l'avenir du nucléaire et se protéger contre la prévisible hausse des prix. Autrement dit, les évolutions du prix des combustibles fossiles ont fait redevenir la production d'électricité ce qu'elle fut dans les années 70: une activité qui ressemble énormément à un monopole naturel.

6 juin 2012

À propos du record de production solaire en Allemagne

Le 25 et 26 mai derniers, la production d'énergie solaire a atteint un maximum en Allemagne, nouvelle qui a été relayée en France. La puissance au pic d'ensoleillement de la mi-journée a été d'environ 22GW ces deux jours, la puissance installée étant de 27GW à la fin de l'année dernière. Le samedi 26 mai, le solaire et l'éolien ont représenté plus de la moitié de la consommation vers midi — mais un peu moins de la moitié de la production.

C'est l'occasion de voir quelles sont les performances réelles de l'énergie solaire aujourd'hui

Aperçu du système électrique allemand sur quelques jours

Commençons par voir ce qui s'est produit les 25 et 26 mai. Les graphes ci-dessous donnent l'essentiel de ce qu'on peut savoir aujourd'hui. Contrairement à la France, l'ensemble des opérateurs de centrales classiques ne publient pas de manière centralisée les données de production. L'échantillon détaillé donné sur le site transparency.eex.com ne recouvre visiblement pas toute la production classique — il manque environ 7GW au maximum — et n'est accessible qu'en payant. On peut toutefois obtenir les données agrégées pour toutes les centrales de plus de 100MW, ce qui, en se basant sur ce qui se passe en France, permet d'approximer la production hors solaire et éolien à environ 2GW près. On peut aussi trouver sur ce site les productions de l'éolien et du solaire. On a donc une bonne idée de la production d'un jour donné. Pour ce qui est de la consommation, le plus simple est en fait de prendre les données de entsoe.net sur les échanges transfrontaliers: ils donnent la différence entre la consommation et la production. Même si j'ai pu constater des bizarreries sur ces données, elle n'en donnent pas moins une idée correcte de la situation. J'ai mis les données récoltées dans une feuille Google.

Électricité en Allemagne le 25/05/2012 Électricité en Allemagne le 26/05/2012

La différence entre le vendredi et le samedi est flagrante, avec une baisse de la consommation le samedi d'un quart. On peut constater qu'effectivement sur ces deux jours, la production d'électricité solaire est forte. Cependant, on voit aussi qu'il y a un talon de production plus classique, d'environ 35GW le 25 et de 30GW le 26. Cette production provient des installations tournant en base, principalement des réacteurs nucléaires (10GW) et des centrales au lignite (13GW), chacun de ces deux modes de production apportant plus d'énergie sur la journée que le solaire.

On voit aussi que le solaire est grossièrement corrélé à la variation de la consommation ces jours là. Cette corrélation n'est qu'imparfaite: le vendredi matin, il est nécessaire de faire appels aux moyens classiques et aux importations. En milieu de journée, la situation s'inverse et l'Allemagne devient exportatrice. Ces jours-là, l'Allemagne a tout de même pu éviter de recourir à des moyens de pointe.

Si on regarde ce qui s'est passé d'autres jours, par exemple le 31 mai et le 1er juin, on obtient les graphes suivants: Électricité en Allemagne le 31/05/2012 Électricité en Allemagne le 01/06/2012

Le jeudi 31, la consommation est au-delà de 70GW, ce qui montre que le vendredi est déjà un jour de plus faible consommation. La puissance crête du solaire de ces jours est 2 deux fois plus faible que le 25 et le 26 mai, la place étant en partie prise par l'éolien ... et le retour des moyens fossiles. Les exportations sont aussi nettement plus faibles le 31. Le 1er juin, par contre, les exportations sont nettement plus fortes, en grande partie à cause de la relativement forte puissance de l'éolien. Cela montre aussi le défaut du solaire et de l'éolien: ce sont des productions intermittentes qui peuvent être présentes — auquel cas on a droit à des communiqués de presse — ou absentes — auquel cas ce n'est pas une nouvelle.

Pendant ce temps là, en France

Le 25 mai en France, on peut aussi constater, grâce aux données de RTE que l'électricité est presque totalement décarbonée grâce au nucléaire — qui assure l'essentiel de la base — et à l'hydraulique — qui assure le suivi de charge au cours de la journée. En France, il n'y a qu'une faible puissance produite par les combustibles fossiles: sans doute quelques centrales à cogénération qui, subventionnées, tournent tout le temps et les centrales qui tournent en partie pour servir de réserve au cas où. La France est aussi constamment exportatrice au cours de la journée, moins vers midi pour faire face à la consommation intérieure française ... et à la production solaire ailleurs.

Électricité en France le 25/05/2012

Mais cette situation est récurrente depuis que le parc nucléaire français est devenu suffisamment important, elle ne peut donc prétendre faire la une, même si elle se produit tous les jours ou presque de mai à septembre.

Du prix de l'électricité

L'électricité est une marchandise éminemment périssable puisqu'elle doit être consommée d'une façon ou d'une autre dès qu'elle est produite. En conséquence, elle correspond pas trop mal aux biens canoniques étudiés en cours d'économie. Le prix où on peut la vendre correspond donc grosso modo au coût marginal, celui de la dernière unité produite. Les choses sont un peu plus compliquées, comme expliquées dans cet article. On peut cependant retenir la chose suivante: la rentabilité effective des moyens de base repose sur le fait qu'ils ne suffisent pas à satisfaire toute la demande et perçoivent une rente, les moyens de pointe pouvant espérer compter sur leur rareté et leur pouvoir de marché. En cas de surplus ou de pénurie, on peut s'attendre à des variations rapides de prix, à la baisse ou à la hausse.

Dans un système sans renouvelables intermittents, les prix varient surtout en fonction de la demande: la prévision détermine quels sont les moyens appelés, aisément classés par leur coût marginal. La demande étant relativement prévisible, les variations de prix ne sont pas très rapides. Avec les renouvelables intermittents, la production est nettement plus incertaine, dépendant des conditions météorologiques qu'on a toujours du mal à prévoir à l'avance. L'éolien et le solaire ont aussi pour caractéristique d'avoir un coût marginal nul pour deux raisons:

  1. Le système de subventions avec obligation d'achat oblige le gestionnaire du réseau à prendre cette électricité, dont il doit se débarrasser d'une façon ou d'une autre. Des limites sont posées pour la sécurité du réseau, mais il n'y a pas a priori de prix minimal à la revente au consommateur pour cette électricité
  2. Les caractéristiques techniques de ces productions qui n'utilisent aucun combustible pour produire une fois installées

La combinaison de l'imprévisibilité et du coût marginal nul pousse fortement les prix spot à la baisse en cas de surplus. On peut même constater des prix négatifs, arrêter les centrales de base étant plus compliqué que d'arrêter un vélo. Inversement en cas de manque, les prix partent rapidement à la hausse, car on est obligé de faire appel à des moyens de pointe, seuls capables de réagir suffisamment vite.

Suite aux efforts de la commission européenne pour créer un marché commun de l'électricité, les marchés du Bénélux, de la France et de l'Allemagne se sont couplés, c'est-à-dire que les prix doivent être égaux sauf quand les capacités d'interconnexions sont saturées. L'idée est d'optimiser l'usage des moyens de production, les plus chers n'étant appelés que le plus tard possible. Le revers de la médaille, c'est que les prix sont a priori déterminés par le moyen de production le plus cher appelé dans toute la zone, même si localement, les prix pourraient être plus bas.

Cependant la consultation des prix spot sur les journées considérées montrent que les prix ne sont alignés en France et en Allemagne que sur la journée du 31 mai, celle où la production renouvelable est relativement moins importante et aussi plus stable, l'éolien variant assez peu sur cette journée. On remarque que lorsque la production renouvelable est très forte, les prix allemands sont plus bas qu'en France, parfois de beaucoup comme le 1er juin où le différentiel atteint presque 30€/MWh au maximum, et lorsqu'il y a un manque relatif, comme le matin du 26 mai, les prix allemands sont plus élevés. L'effet des renouvelables sur le prix spot conduit aussi à trouver le prix minimal du 26 mai en pleine journée, lorsque le solaire est à son maximum. Sur cette journée, le prix moyen de l'électricité solaire est inférieur au prix moyen de l'électricité sur la journée.

Quelles conclusions?

La première conclusion, c'est qu'avec de telles puissances, sur ces jours-là, le solaire a bien remplacé des moyens de production thermique à combustible fossile. Il a plus exactement remplacé les centrales chargées d'assurer le suivi de charge au cours de la journée. Le revers de la médaille, c'est que d'autres jours, les jours d'été nuageux et les jours d'hiver, ces moyens sont appelés pour répondre à la demande. Le solaire ne peut donc les remplacer, ils tournent simplement moins souvent.

On voit aussi que l'Allemagne est devenu un pays qui a quasiment un bilan d'exportation équilibré depuis l'arrêt de 8 réacteurs nucléaires, alors que c'était un pays qui exportait beaucoup jusque là. La dynamique des exportations semble maintenant être déterminée par les productions d'électricité renouvelable, éolien et solaire. La demande locale ne s'adapte pas aux variations de production et les installations tournant en base ne s'arrêtent pas pour laisser la place. En quelque sorte, l'Allemagne a d'abord fait émettre plus de CO₂ à ses voisins, puisque les installations libres sont souvent celles à combustibles fossiles, avant de leur demander de recevoir de façon aléatoire son surplus de renouvelables. Ce deuxième aspect peut sembler favorable, mettant à l'arrêt des installations polluantes, mais quand on constate qu'à cause de l'intermittence les flux frontaliers sont en sens contraire aux prévisions dans 90% des cas, on ne peut que se dire que ces flux ne seront pas bienvenus très longtemps, surtout que leur importance va s'accroître à cause du développement des sources intermittentes.

La comparaison avec les installations de base montre aussi que le solaire, malgré la puissance installée, aura le plus grand mal à assurer une production d'importance. C'est ainsi que sur les journées du maximum, le nucléaire a produit plus malgré une puissance en service 3 fois moindre. Si le rythme de développement actuel se poursuit, dans quelques années la demande maximale du samedi ou du dimanche pourra être fournie par le solaire. Cela pose le problème du devenir des installations de base: qu'en faire ces jours là? On n'a pas tellement envie des les arrêter vu que ça a un coût, à la fois direct pour l'arrêt, et d'opportunité s'il faut les remplacer par les moyens de suivi de charge, plus chers. On peut penser exporter le surplus, mais les capacités d'export sont limitées. Par ailleurs, il est compliqué de débrancher des installations solaires qui sont aussi installées chez des particuliers: s'il ne peuvent pas évacuer leur surplus, qu'adviendra-t-il de leurs installations électriques ou du réseau électrique du quartier?

On peut aussi voir des développements intéressants du point de vue des prix. Sans sources intermittentes, le marché de l'électricité est relativement simple: plus la consommation est élevée, plus le prix est élevé. C'est ce qui permet, entre autres, de rentabiliser des installations de base aux coûts en capital élevé mais au coût marginal faible. Or on est déjà confronté à des cas où c'est l'inverse: au maximum de consommation, les prix sont au minimum de la journée. On se retrouve donc dans une situation étrange:

  1. Les installations de pointe ou de suivi de charge sont moins rentables car elles fonctionnent moins souvent. Personne n'a donc intérêt à les construire, au moins au début
  2. Les installations de base ont vocation à être remplacées à terme par un couple renouvelable intermittent et moyens de pointe ... mais personne n'aura construit les moyens de pointe sans subventions
  3. Les installations renouvelables font partie des installation à fort coût de capital et ont besoin d'un prix de vente moyen élevé. Mais comme leur coût marginal est nul, une forte production entraîne les prix à la baisse. Elles ne pourront donc être rentables sans subventions.

Bref, le modèle économique de la production d'électricité semble devenir pour le moins douteux si on reste dans un cadre de marché.

Les prix bas en cas de forte production posent un problème de distribution des coûts. Seuls les industriels ont accès aux prix spot, ils bénéficient donc de cette situation. Mais ils ne paient rien ou presque: leur taxe «énergies renouvelables» est plafonnée à un niveau très bas. De l'autre côté, ceux qui ont installé des panneaux solaires vendent leur électricité très cher, nettement au-delà des prix de marché. Mais comme ce sont des gens qui ont pu avancer le capital à cette opération fructueuse, on peut penser qu'ils ne font pas partie des défavorisés. Ceux qui paient ces panneaux sont donc les particuliers et les petites entreprises qui n'ont pas pu installer de panneaux solaires, parmi lesquels figureront l'essentiel des nécessiteux. Les bénéfices vont donc à d'autres que ceux qui paient et la taxe «renouvelables» a toutes les chances d'être régressive.

Tout cela ne veut pas dire que le solaire n'a pas d'avenir. Si aujourd'hui, sur un cycle de vie, un panneau photovoltaïque émet nettement plus de CO₂ que le nucléaire — et que le contenu moyen en CO₂ de l'électricité française —, le solaire photovoltaïque pourrait voir des améliorations importantes de son efficacité avec les progrès des semi-conducteurs. Le contenu en CO₂ sur la durée de vie pourrait aussi s'améliorer si l'électricité du lieu de fabrication est décarbonée. Mais pour produire une part importante en Europe, il faudrait développer des installations de stockage de l'énergie qui n'existent pas avec les bon ordres de grandeurs à l'heure actuelle.

Pour résumer, en fermant des centrales nucléaires et en se lançant dans les renouvelables, l'Allemagne a opté pour un comportement nettement non-coopératif. Elle fait payer des émissions de carbone supplémentaires à ses voisins à un prix plus élevé — c'est dit ouvertement quand les supporters de la manœuvre disent que les émissions n'augmenteront pas à cause du régime de droits à polluer — et elle leur demande d'accepter des flux d'électricité variable qu'ils n'ont absolument pas prévu. En se précipitant sur le solaire, elle empêche aussi les autres de la suivre: la production européenne est très corrélée: tout le monde produira en même temps, aux environs de midi, sans que cela corresponde exactement à la demande. On peut aussi constater que le modèle économique qui sous-tend la manœuvre est douteux. On subventionne les renouvelables intermittents, mais on va aussi devoir subventionner les moyens de remplacement à combustible fossile. En plus de tout cela, les perspectives d'arrêt des subventions sont clairement incertaines. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le succès de la transition énergétique allemande n'est pas assuré!

3 mai 2012

Le corner énergétique

Hier soir, après avoir chacun de leur côté s'être posés en rassembleurs, les deux candidats présents au second tour de l'élection présidentielle se sont livrés à un débat au ton vindicatif. Parmi les sujets discutés figurait l'inévitable sujet du nucléaire civil.

J'ai déjà évoqué ici à plusieurs reprises l'accord entre les Verts et le PS ainsi que la politique énergétique du candidat Hollande pour en dire tout le mal que j'en pense. Durant le débat François Hollande a confirmé ce qu'on pouvait penser de sa volonté de baisser la contribution du nucléaire à 50% de la production d'électricité: il s'agit d'un plan de fermeture des centrales à 40 ans. Il a aussi, par ses propos désignant Fessenheim comme situé en zone sismique, repris en presque totalité l'argumentation des écologistes, ce qui conduit en fait à légitimer leur position: il faut sortir du nucléaire.

En effet, rien n'impose de fermer les centrales nucléaires au bout de 40 ans. Les Américains ont prolongé la vie de 70 de leurs 104 réacteurs à 60 ans. EDF a des plans similaires, ils sont de notoriété publique: on en trouve par exemple de nombreuses traces dans le rapport de la Cour des Comptes sur le nucléaire. La Cour passe d'ailleurs très près de recommander l'allongement de la durée de vie des centrales, remarquant que plus l'exploitation perdure, moins les coûts par MWh sont élevés (p284). Elle remarque aussi que l'absence de décision conduira à la prolongation des centrales et que le prolongement des centrale va entraîner un plan d'investissement important, mais nettement moins qu'un renouvèlement, quelque soit la technologie choisie. D'ailleurs, si les centrales devaient toutes fermer à 40 ans, l'intérêt d'investir pour prolonger la durée de vie des centrales diminue: les investissements devraient se rentabiliser sur une durée nettement plus courte. Il n'y a en fait quasiment qu'un seul élément irremplaçable: la cuve du réacteur dont on ne connaît pas la durée vie maximale.

Contrairement à ce qu'affirme François Hollande, il y a d'autres centrales situées dans une zone sismique comparable à Fessenheim. Fessenheim est situé dans le nord du département du Haut-Rhin. Comme on peut le voir sur la carte officielle du risque sismique, cette zone est en risque «modéré», comme l'ensemble de la vallée du Rhône. Et dans la vallée du Rhône, il y a moult sites nucléaires: les centrales de Bugey, St Alban, Cruas, Tricastin, le site de Marcoule. La centrale du Bugey est aussi la deuxième centrale la plus vieille en France, on voit donc quelle sera la cible suivante des écologistes. En écartant les zones sismiques avec un risque modéré, François Hollande empêche la construction de centrales dans une zone à la fois parmi les plus peuplées et aussi parmi les plus industrialisées donc parmi les plus grosses consommatrices. Cela va donc grandement simplifier le transport de l'électricité. On imagine aussi sans peine avec quelle bienveillance François Hollande verra l'industrie chimique, très présente aussi dans la vallée du Rhône, donc menacée par les séismes.

Se rejoignant sur ce point, les 2 candidats ont chanté les louanges des énergies renouvelables. Cependant, celles-ci ne peuvent pas remplacer le nucléaire: ce qu'on peut encore construire, ce sont des éoliennes et des centrales solaires. Non seulement, ces sources d'électricité sont parfois hors de prix, mais elle ne garantissent en fait aucune production ou presque: on peut voir grâce aux données d'exploitation, que ce soit au niveau français ou européen, la garantie est de moins de 5%. Comme dit dans une analyse statistique, publiée sur un site tenu par un Danois et riche de données, la production éolienne agrégée ne peut être considérée comme une source fiable d'électricité.

Les candidats font aussi profession de diminuer les consommations de combustibles fossiles et de ne pas exploiter le gaz de schiste et autres hydrocarbures non-conventionnelles. Comme ceux-ci sont en fait la seule alternative au nucléaire à moyen terme et sans doute à long terme, on aboutit à une impossibilité pratique. Sarkozy s'en sort grâce à son soutien au nucléaire, mais ce dernier requiert de fonctionner la plupart du temps pour être rentable. Hollande, lui, s'est placé dans un corner dont on voit mal comment il pourra se sortir. Cela dit, il se dit favorable à un TIPP flottante, ce qui favorise donc implicitement la consommation de pétrole, le type de combustible fossile le précieux car liquide et le premier qui viendra à manquer, mais pour une taxation de la consommation d'électricité croissante en fonction de la consommation, première mondiale, qui frappera donc la principale source d'énergie décarbonée en France.

On arguera qu'il lui suffira de se renier comme tant d'autres. Mais en reprenant pour lui-même des arguments simples — et faux — produits de longue date par les écologistes, il a légitimé leur discours. En le faisant avec force lors du débat télévisé d'avant le second tour, il a donné à cette position une certaine solennité. La situation de Mitterrand en 1981 était très différente: il allait hériter de nombreux chantiers de centrales nucléaires en cours, ce qui résolvait le problème de la production d'électricité en France; les diverses crises des changes ont de toute façon rapidement dissuadé de se reposer sur des importations coûteuses de combustibles fossiles. Cette prise position est donc sans doute l'exemple le plus frappant du déni qui remplit le discours politique français: en déformant la réalité, les dirigeants politiques se placent dans un corner dont il est impossible de sortir sans se renier, et placent donc le pays dans une impasse dont il sera extrêmement difficile de sortir.

13 avril 2012

Le coût exorbitant de la course aux renouvelables

Le 6 avril dernier, le gouvernement a dévoilé les résultats de l'appel d'offres sur les premiers champs d'éoliennes en mer. Cette annonce a été précédée de fuites dans la presse sur l'avis que donnait le régulateur: tout confier au consortium emmené par EDF qui aurait été très offensif sur les prix. Finalement, le gouvernement a choisi d'attribuer 3 des lots à EDF, un autre au consortium emmené par Iberdrola et de laisser un dernier lot sans preneur.

Le gouvernement nous donne la puissance prévue sur chaque champ, le montant total des investissements (7G€), le nombre de gens embauchés de ce fait (10000). Il manque toutefois des informations d'importance: combien cela va-t-il coûter en impôts, en l'occurrence connu comme la Contribution au Service Public de l'Électricité ou CSPE et quelle est la production d'électricité prévue. À peine nous précise-t-on combien aurait coûté l'attribution du lot laissé vacant (500M€) en nous disant que c'était le plus cher. On pourrait estimer la production d'électricité prévue par la donnée du nombre de foyers alimentés par la réalisation de l'objectif de 6GW d'éolien. On peut en inférer que les quantités mises en services permettront une production équivalente à la consommation annuelle de 1.5M de ménages. Dans le bilan énergétique pour 2010, on lit (p49) que la consommation électrique résidentielle est d'environ 170TWh, il y a environ 27M de ménages en France, ce qui mène à un facteur de charge de 54%, totalement incroyable pour de l'éolien. Cela ne fait prouver, s'il en était besoin, que donner les productions électriques en nombre de ménages relève de l'enfumage pur et simple.

Pour obtenir ces renseignements, il faut se tourner vers la presse sans confirmation officielle et donc sans moyen de vérification. Pour des investissements financés par l'impôt, c'est totalement anormal. Toujours est-il que la subvention versée au titre de la CSPE serait de 1.1G€ par an pour les champs totalement construits. À noter qu'un post de Sauvons le climat — qui inspire largement ce billet — donne une subvention de 1.2G€ par an, différente de celle donnée par Les Échos, ce qui montre bien qu'il y a un problème de transparence, même si les ordres de grandeur sont les mêmes. La donnée de cette subvention permet de faire quelques calculs sur le prix de l'énergie produite. La CSPE prélevée est reversée à EDF comme différence entre le prix de l'énergie produite et le prix moyen qu'elle aurait valu sur le marché spot. Le prix moyen sur le marché spot est estimé à un peu moins de 57€/MWh (p9 de l'annexe 1 de la délibération sur la CSPE pour 2012).

Au total, on trouve qu'avec un facteur de charge de 35% — élevé pour de l'éolien — le prix moyen de l'électricité produite pour les lots alloués est de 243€/MWh. Pour le lot laissé sans preneur, il est de 290€/MWh. On peut comparer cela à quelques éléments:

  • Le tarif de rachat donné dans la loi — hors appels d'offres, donc — pour l'éolien en mer est de 130€/MWh.
  • Le tarif de rachat pour l'éolien terrestre est de 82€/MWh pour les installations nouvelles. Le prix moyen pondéré de rachat est de 87€/MWh selon la CRE (p6 de l'annexe sur la CSPE)
  • Selon les chiffres donnés à la Cour des Comptes pour son rapport sur la filière nucléaire (p220), le coût pour l'EPR de Flamanville, reconnu comme étant un échec industriel, est compris entre 70 et 90€/MWh. Contrairement aux éoliennes, il est pilotable et peut tourner à pleine puissance plus de 75% du temps.

Le prix payé est donc 3 fois plus élevé que pour l'éolien au sol ou que l'EPR de Flamanville. Il faut dire que les appels d'offres ne sont pas favorables à la maîtrise des coûts. Il y a aussi régulièrement des appels d'offres pour le solaire photovoltaïque pour des installations supérieures à 100kW. Le dernier a débouché sur un prix moyen de 229€/MWh; le prix officiel du photovoltaïque pour de telles installations est légèrement supérieur à 110€/MWh.

La commission Énergies 2050 attendait une réduction des coûts de l'ordre de 25% d'ici à 2030 (cf annexe, p196), ce qui laisserait l'éolien en mer à des niveaux de prix rédhibitoires. Il vaudrait mieux donc se tourner dorénavant vers d'autres sources d'énergies bien plus fiables et ne produisant pas de gaz à effet de serre, comme le nucléaire ou même ne continuer qu'avec l'éolien au sol. On peut même s'interroger s'il ne vaudrait pas mieux dépenser 1.1G€ de subventions annuelles sur d'autres secteurs que l'électricité pour réduire les émissions de CO₂. En dehors du manque de transparence du secteur, il faut bien constater que les prix de l'énergie produite sont affolants. Par dessus le marché, cela concerne des moyens de productions inutiles en France, où la production d'électricité est largement décarbonnée: mieux vaudrait réserver l'argent public à d'autres actions, immédiatement efficaces dans la réduction d'émissions de CO₂.

Ajout du 14 mai 2012: La CRE a publié sur son site son avis début mai. Il en ressort qu'il est prévu un facteur de charge de 40% et que le prix soit d'environ 228€/MWh dont 162€/MWh de subvention.

13 février 2012

Le scénario de l'OPECST

L'OPECST termine son rapport sur l'avenir sur la filière nucléaire par l'énonciation de 3 scénarios, dont un seul est véritablement décrit en détail (Tome 1 p65 sq). Ce scénario s'appuie massivement sur des énergies renouvelables et des systèmes de stockage de l'électricité, il prévoit une décroissance de l'importance du parc nucléaire, surtout dans la deuxième partie de ce siècle. C'est aussi un scénario qui permet de ne pas augmenter a priori les émissions de CO₂ causées par la production d'électricité et de les éliminer d'ici la fin du siècle. Cependant, il souffre de quelques défauts qui font douter de son réalisme.

Le scénario est principalement décrit par la part d'électricité produite via le nucléaire. Il s'agit plus vraisemblablement de la part de la consommation finale, la présence significative des systèmes de stockage fait que la production totale sera forcément plus élevée qu'aujourd'hui: à la production «primaire» viendra s'ajouter une production «secondaire». À la fin du rapport figure aussi un graphe de la puissance installée de réacteurs nucléaires, le texte comprenant un scénario de remplacement des différentes générations de réacteurs. Puissance nucléaire installée selon l'OPECST

L'OPECST prévoit donc que le nucléaire représentera 50% de la production pour 50GW installés en 2050 et 30% de la production pour 30GW installés en 2100. On peut donc évaluer les productions à ces époques, en faisant l'hypothèse que le facteur de charge reste identique à celui d'aujourd'hui, environ 75%. On trouve une production de 660TWh en 2050 et en 2100 contre en gros 550TWh aujourd'hui, ce qui représente une hausse de 0.5%/an entre aujourd'hui et 2050 et une stabilité ensuite. L'OPECST prévoit donc que la production d'électricité sera quasiment stable ces 40 prochaines années et totalement stable après 2050. Comme l'office prend la peine de donner la puissance installée et la trajectoire de remplacement du parc actuel, ce n'est pas juste pour raisonner à production constante. On l'a déjà dit, l'hypothèse de la production et de la consommation stables d'électricité n'est pas raisonnable. La conséquence directe de la stabilité de la production est que l'électricité ne jouera aucun rôle ou presque dans la réduction de la consommation des combustibles fossiles en France. Adieu donc les rêves de grands parcs de voitures électriques, tout devra se faire via des économies de consommation des combustibles fossiles. Ce qui risque, vu qu'il faut les diviser par 4, d'être techniquement impossible et extrêmement impopulaire, car nécessairement accompagné de taxes substantielles.

Le scénario de l'office est entièrement fondé sur la disponibilité des systèmes de stockage, c'en est même une condition de sa validité. L'office fait cependant des hypothèses très optimistes sur l'efficacité du stockage. Il déclare (p67): Avec un taux de charge moyen de 20%, une capacité éolienne de 50GW s’appuyant sur un système de stockage d’énergie pourra alors se substituer à une production de 10 GW en base. Sachant que les centrales — nucléaires — qui tournent en base ont un taux de charge de 75%, cela veut dire que le système combiné éolien + stockage a une efficacité équivalente. L'expérience qu'on a d'ores et déjà de l'éolien montre que le stockage devra subvenir à la consommation finale à hauteur des 2/3. Ce qui veut dire que l'efficacité du cycle de stockage devra être supérieure à 70%: aujourd'hui seul le pompage remplit cette condition et il ne faut pas attendre des miracles de son développement. Ce qui fait que la capacité éolienne à installer est sous-estimée de façon assez large.

Cette stratégie ne fait pas grand chose non plus pour éliminer les émissions de CO₂ causées par la production d'électricité. Pour cela, l'office semble miser sur la biomasse ... qui sera sans doute aussi sollicitée par ailleurs pour remplacer les combustibles fossiles puisque l'électricité ne jouera pas ce rôle. Comme le développement de la biomasse est tout aussi limité, on risque donc de continuer à utiliser des combustibles fossiles pour la pointe, alors que justement, le stockage avait la possibilité de les éliminer.

L'office espère aussi que les subventions aux énergies renouvelables cesseront après 2020. On est en droit d'en douter pour au moins deux raisons. La première, c'est qu'actuellement, ce sont sans doute les meilleurs sites qui sont en train d'être équipés. Les autres sites présentent sans doute un rendement financier inférieur, ce qui sera toujours le cas après 2020. Il y aura alors de fortes chances que le prix des renouvelables sur ces sites soit toujours supérieur aux coûts des autres sources, amenant à devoir prolonger les subventions bien au delà de 2020. C'est ainsi qu'aujourd'hui, à 130€/MWh garantis sur 20 ans, il ne s'est toujours présenté personne pour construire des champs d'éoliennes en mer. L'appel d'offres gouvernemental semble accepter des offres allant au moins jusqu'à 170€/MWh, pour une fin d'installation en 2020. Il est peu probable que ce type d'installations ait rejoint dans 10 ans ne serait-ce que le prix de l'éolien terrestre actuel. La deuxième raison, c'est qu'à cause de leur intermittence voire — pour le solaire photovoltaïque — de leur corrélation inverse à la demande, ces énergies rendent un service inférieur aux sources commandables actuelles. Cela se traduit par la nécessité du stockage. Et si, justement, il doit y avoir des installations de stockage capables d'absorber les surplus des énergies renouvelables, cela voudra dire qu'il y a une situation de surproduction impliquant des prix plus bas que la moyenne. Lors des périodes de forte production, il y a de bonnes chances que les prix de l'électricité soient très bas voire nuls comme mentionné dans l'étude de Pöyry, ce qui grèvera la rentabilité des énergies renouvelables.

De l'autre côté, le scénario de l'office s'efforce de ne pas profiter à plein du potentiel de l'énergie nucléaire. L'EPR de Flamanville paraît ainsi devoir rester un exemplaire unique pendant 15 ans, de façon à bien perdre de l'expérience dans la construction de centrales nucléaires, une cause probable de l'allongement des délais et de l'explosion des coûts. Mais de façon moins anecdotique, l'office ne voit le premier réacteur commercial à neutrons rapides — Gen IV sur le graphe — ouvrir qu'à partir de 2060 et la puissance installée plafonner à 30GW, donnant, avec les stocks actuels d'uranium, 10 000 ans de production possible avec cette filière. Comme l'office propose de continuer à utiliser le nucléaire actuel pendant pratiquement autant de temps qu'il a été utilisé en France, ces stocks ne peuvent qu'augmenter. Le caractère constant de la production d'électricité nucléaire favoriserait aussi l'apparition du stockage, en diminuant la capacité nécessaire des usines et donc les coûts d'investissement.

Pour le dire clairement, l'office semble faire de grands efforts pour trouver un moyen de diminuer la part du nucléaire dans la production d'électricité. Il ignore pour cela les effets sur les autres secteurs de consommation d'énergie qui sont les principaux émetteurs de CO₂ en France. Le discours public insiste beaucoup sur la réduction nécessaire de ces émissions, même si on peut se demander si ce n'est pas pour amuser la galerie. Le scénario prévoit aussi implicitement des investissements supérieurs à ce qu'il pourraient être avec le nucléaire et fait des hypothèses très optimistes sur les coûts, les subventions futures et l'efficacité des systèmes de stockage. Cependant, il prend en compte le temps de développement des différentes technologies et une partie de la contrainte posée par les émissions de CO₂ et la raréfaction des ressources fossiles. C'est ce qui fait que malgré ses défauts, c'est sans doute, jusqu'à présent, le meilleur travail provenant du monde politique sur la question. On peut donc prédire que les politiques énergétiques continueront à se distinguer par leur inefficacité.

29 janvier 2012

Stocker l'électricité

L'OPECST a rendu en décembre dernier un rapport — en 2 tomes— sur l'avenir de la filière nucléaire et plus généralement la génération d'électricité en France. Le premier tome présente ce que retient l'office des auditions et de ses déplacements, ainsi que sa conclusion sur le futur de la production d'électricité en France. Le deuxième tome compile l'ensemble des auditions menées. Ce rapport est l'occasion de passer en revue un certain nombre de sujets qui ont été évoqués lors des auditions de l'office et aussi de donner mon avis sur les conclusions de ce rapport.

Actuellement, il est difficile de stocker de l'électricité dans des quantités significatives ou dans un laps de temps dépassant quelques secondes. On est donc obligé de passer par des intermédiaires. Actuellement, seul le stockage dans des lacs de barrage remplit un rôle significatif dans la production d'électricité. Son utilisation requiert la présence de montagnes pour un usage le plus performant, et il existe une limite à l'acceptabilité des lacs de barrage, la montagne étant aussi habitée et fréquentée par des êtres humains, souhaitant voir aussi des vallées non noyées par des lacs. La montée en puissance de l'éolien et du solaire, moyens intermittents et hors de notre contrôle de production d'électricité, renforce la tentation de trouver des moyens de stocker cette énergie. Sans ces moyens de stockage, le complément est amené à être assuré, pour des raisons essentiellement économiques, par des énergies fossiles qu'il s'agit justement d'éviter d'utiliser.

Le rapport de l'OPECST aborde deux moyens: l'hydro-électricité et le stockage «chimique».

L'hydraulique

Comme produire de l'électricité à partir de lacs de barrage est une des formes les moins technologiquement avancées et les moins chères, la plupart des sites intéressants pour y installer des barrages sont occupés. Ceux qui sont libres ont un intérêt touristique et il est aussi légitime que les habitants souhaitent conserver une partie des vallées sans lac. En Europe, il existe peut-être encore des possibilités en Suisse et en Autriche, mais cela ne suffira pas face aux perspectives de développement des énergies renouvelables intermittentes. En France, sur 12GW de puissance pour l'ensemble des lacs de barrage, seuls environ 5GW sont disponibles pour le pompage.

Le stockage dans les barrages se base sur la gravité, les rendements sont bons, supérieurs à 70% sur l'aller-retour. L'énergie stockée est égale au produit de trois termes: l'accélération de la pesanteur, la masse d'eau stockée et la hauteur de chute. C'est pourquoi les sites montagneux sont les plus intéressants, on arrive à y créer des installations où la hauteur de chute vaut environ 1000m et où les volumes d'eau stockés dans la retenue peuvent dépasser la centaine de millions de m³. Dans le cas des stations de pompage, il faut en plus disposer d'une deuxième retenue en contrebas. Elle est souvent de capacité bien inférieure, de l'ordre de 10 fois moins, ce qui limite l'usage du stockage. Par exemple, le barrage de Grand'Maison a une retenue supérieure de 130M de m³, une hauteur de chute de 925m et une retenue inférieure de 14M de m³, ce qui limite le stockage à environ 37GWh.

Comme tous les sites de montagne sont équipés, on se tourne vers les sites marins, là où il y a des falaises. Un prototype a été construit sur l'île d'Okinawa. Le rapport reprend cette idée — tome 1 p58 sq , tome 2 p171 sq — avec un projet qu'a EDF à la Guadeloupe de construire une centrale du même genre. Le représentant d'EDF a donc présenté une centrale de 50MW, avec une capacité de 20h de fonctionnement continu — soit 1GWh — et une hauteur de chute de 50m. Ce qui veut dire que la retenue supérieure a une contenance d'environ 7M de m³, soit un lac de 35ha et profond de 20m ... le tout au sommet d'une falaise de 50m. Cette usine ne passera pas complètement inaperçue.

Le représentant d'EDF indique aussi qu'on pourrait installer 5GW de la sorte sur les côtes françaises (T2 p183), ce qui ferait donc une centaine d'usines. Le rapport est assez enthousiaste, puisqu'il déclare que les STEP marines constitueront une solution particulièrement bien adaptée pour la stabilisation de l’électricité produite par les parcs d’éoliennes offshore (T1 p59). Cependant, il y a quelques raisons de penser que les attentes seront déçues. Il n'existe ainsi aucun site équipable entre Quiberon et l'embouchure de l'Adour, ni de Perpignan à l'embouchure du Rhône. C'est assez gênant pour la stabilisation de la production des parcs offshores au large de l'embouchure de la Loire, l'appel d'offre gouvernemental y prévoyant déjà jusqu'à 750MW. Ensuite, les falaises sont souvent des espaces protégés et/ou fréquentés assidûment par les touristes. On peut ainsi citer le cap Fréhel, Étretat, le cap Fagnet ou le cap Blanc-Nez. Le problème n'est pas tant que d'arriver à en implanter quelques-unes, mais d'en implanter plusieurs dizaines. Ce qui fait qu'au lieu des 5GW vus par le représentant d'EDF, on aura sans doute 5 fois moins, alors que rien que pour le premier appel d'offre d'éolien en mer, il est prévu entre 2 et 3GW et que l'objectif d'ici 2020 est de 6GW.

La chimie et les carburants synthétiques

Le grand succès des combustibles fossiles tient à leur densité d'énergie qu'on peut dégager par combustion combinée à leur stabilité chimique par ailleurs. Par exemple, le méthane a un pouvoir calorifique d'environ 15kWh/kg, les carburants classiques donnant des résultats comparables. La plupart des carburants classiques se trouvant sous forme liquide, ils ne forment immédiatement pas des mélanges détonants, ils ne sont pas outrancièrement toxiques. Leur origine est la végétation préhistorique; le pétrole et le charbon mettent quelques centaines de millions d'années à se former. Dans l'optique de se débarrasser des combustibles fossiles, trouver des remplaçants ou de nouvelles façon de les fabriquer est donc extrêmement tentant et intéressant.

Certes, le rendement qu'on peut attendre d'une combustion est inférieur à ce qu'on peut attendre d'une technique comme les barrages, mais on gagne très nettement en compacité. Cela dit les CCGT atteignent des rendements de 60%. Leur forte puissance et leur coût raisonnable leur permettra d'être le moyen privilégié de production d’électricité à partir de la combustion de gaz. Dans le secteur des transports, les rendements peuvent monter jusqu'à 50%, mais le rendement moyen pour une voiture est plutôt de l'ordre de 20%. Là des piles à combustible et des batteries pourraient remplacer les moteurs à explosion, mais ces deux solutions ont leurs propres problèmes: coût très élevés et limites posées par les gisements de minerais.

Tous les procédés ayant en vue la fabrication de carburants synthétiques se basent sur la capture du CO₂ ou la création d’hydrogène. Le cas présenté à l'office repose sur les 2, de façon à absorber les excès de production d'électricité. Pour l'occasion, un représentant d'Areva, entreprise qui voit sans doute là l'occasion de se diversifier dans une activité avec de moindre risques politiques, vient présenter les travaux d'un GIE formé avec des spécialistes des gaz, Air Liquide et GDF-Suez (T1 p59 sq, T2 p173 sq). La marche suivie serait de capturer le CO₂ actuellement émis par les cimenteries puis de le transformer en méthane, puis en diméthyl-éther ou en éthanol. Il déroule une démonstration qu'il ruine à la fin en révélant que les prix donnés sont basés sur un rendement du capital ridiculement bas.

Le scénario d'usage a aussi de graves faiblesses: si on se base sur la capture de CO₂ par les usines pour fabriquer les carburants synthétiques, la consommation de combustibles fossiles sera diminuée mais non éliminée. D'une part, parce que la capture du CO₂ ne sera pas parfaite. D'autre part, l'utilisation par les automobiles des carburants synthétiques amène à ouvrir le cycle et à devoir se réapprovisionner en composés concentrés en carbone, c'est-à-dire en fait en combustibles fossiles. Il paraît en effet peu probable que capter le CO₂ atmosphérique soit viable, étant donné qu'il ne représente que moins de 0.05% en volume de l'atmosphère. On pourrait penser se baser sur des composés azotés, mais ils sont tous toxiques ou instables. Créer de grandes quantités d'hydrogène nécessite aussi de grandes quantités d'eau, créant une compétition pour son usage et incitant à placer les usines en bord de mer, en compétition avec de nombreuses activités économiques.

Tous ces procédés consomment de l'énergie, d'abord pour créer de l'hydrogène. L'électrolyse est un procédé bien maîtrisé, les rendements sont de l'ordre de 80% (exemple). Le problème de l'hydrogène est que c'est un gaz très difficile à liquéfier et finalement peu énergétique par unité de volume. Il faut donc consommer relativement beaucoup d'énergie pour le stocker soit pour le transformer en autre chose (comme du méthane). Si on admet que ces opérations supplémentaires ont un rendement total de 80%, et que le gaz est brûlé dans une centrale à cycle combiné, le rendement global atteint environ 40%, ce qui n'est pas terrible.

Quelles conséquences?

Il est intéressant de faire quelques calculs pour voir ce que donnent les procédés de stockage dans le cas où on voudrait se passer totalement de combustibles fossiles et se baser sur différents modes de production «primaire» — c'est-à-dire avant stockage — d'électricité. Les cas donnés ci-dessous sont simplifiés à l'extrême et amplifient les besoins de stockage. Je pense qu'ils donnent tout de même quelques informations intéressantes.

Commençons d'abord par supposer qu'on puisse, malgré les difficultés, se baser uniquement sur un stockage d'efficacité égale à 40% et que la production d'électricité «primaire» soit constante dans le temps avec des installation qui ont un facteur de charge de 70%. La consommation finale, elle, connaît deux états, un où la consommation vaut 30GW, l'autre où elle est de 90GW pour une moyenne de 60GW. Cela correspond à une consommation de 525TWh, 10% plus élevée que celle de la France. On trouve que la puissance «primaire» installée est d'environ 100GW, ce qui est une augmentation conséquente par rapport au cas français, où, en cumulant nucléaire et barrages au fil de l'eau, la puissance primaire installée ne produisant pas de CO₂ est d'environ 70GW. Elle reste cependant raisonnable. Les capacités pour le stockage le sont moins, puisqu'il faut les usines absorbent 40GW. Cela dit, le modèle à deux états ne correspond pas à la réalité, où la consommation reste en fait proche de 60GW une bonne partie de l'année, sauf au mois d'août et dans les périodes les plus froides de l'hiver. On bénéficie aussi d'un stockage «gratuit» avec les lacs de barrage qui se remplissent en grande partie grâce aux précipitations. Mais on peut voir que les coûts induits par une technique de stockage peu efficace ne sont pas mineurs, ce qui explique qu'on se soit limité à la solution efficace, le pompage, et encore dans des proportions de l'ordre de 1% de la production totale. Le complément est assuré par les centrales thermiques à combustibles fossiles.

Si on se tourne maintenant vers un moyen de production intermittent dont le facteur de charge moyen est de 25% mais dont la production évolue entre deux états, un où la production est de 70% de la capacité installée et l'autre où il n'y a pas de production. La consommation finale est estimée fixée à 60GW. Avec un rendement du stockage de 40%, les puissances à installer sont extraordinaires: plus de 400GW de capacité primaire, les installations de stockage doivent être capables d'absorber plus de 200GW, etc. Bien sûr, c'est une représentation caricaturale des énergies renouvelables intermittentes, mais il reste certain que ce type de source primaire entraîne plus de besoins de stockage et plus de besoins de production primaire, dans des proportions importantes.

Le dernier point à prendre en considération est que les installations de stockage doivent fonctionner à l'envers de l'économie en général: la nuit et en plein été car la moindre consommation à ces moments rend plus probable qu'on y ait des surplus d'énergie. Cela posera sans doute des problèmes sociaux si cette industrie est amenée à prendre une grande ampleur.

Pour conclure, avec les rendements des moyens actuels de stockage, il est illusoire de vouloir se passer de combustibles fossiles. Même si la recherche permettait de découvrir des moyens plus efficaces et plus faciles à généraliser, l'OPECST ne voit pas de déploiement à grande échelle avant une vingtaine d'années et on ne peut que lui donner raison. Le problème de la source primaire se pose aussi: une source intermittente et fatale oblige à prévoir plus d'investissements pour le stockage, car en plus de devoir faire à face aux variations de demande, il faut faire face aux variations de production. Les coûts pour les consommateurs sont donc nettement plus élevés, ce qui amène à douter de la compétitivité de systèmes basés sur de l'éolien et du solaire photovoltaïque, soutenus par des systèmes de stockage. La tentation sera grande de se reposer sur les stocks légués par le passé: les combustibles fossiles.

14 décembre 2011

Le mythe des énergies renouvelables bon marché

Dans le choix des différents moyens de production d'électricité à installer, les coûts de chaque solution jouent sans nul doute un grand rôle. À quoi bon gaspiller de l'argent? L'énergie nucléaire s'est imposée dans les années 70 comme la moins chère en France. En effet, la France avait épuisé ou presque ses réserves de charbon ce qui nécessitait d'en importer et donc de payer les coûts de transports associés. Comme le coût de l'uranium enrichi, aux cours actuels, entre pour une faible part dans le coût de production de l'électricité nucléaire, il est très intéressant de construire des centrales nucléaires, surtout dans un pays qui maîtrise l'ensemble des technologies nécessaires, comme la France. La pertinence de choix ne s'est pas démentie, comme nous le confirme tous les 6 mois Eurostat: la France est un des pays où l'électricité est la moins chère pour tous.

Dans leur lutte contre l'énergie nucléaire, les écologistes cherchent donc à montrer que l'énergie nucléaire n'est pas la moins chère. Mais comme il leur est difficile de faire directement de la publicité pour le charbon, le gaz ou encore le pétrole, qu'il est fort compliqué de plaider pour la construction de barrages dans un pays déjà bien équipé, il leur faut se limiter aux énergies renouvelables à la mode, à savoir le solaire photovoltaïque et l'éolien. C'est l'objectif de la tribune publiée dans Le Monde par un aréopage de militants provenant de diverses associations écologistes, titrée Assez de mythes : le nucléaire est plus cher que les énergies renouvelables.

Dès l'abord, ils commencent très fort: ils nous affirment que l'électricité est moins chère en France que dans la plupart des autres pays européens, (...) parce que l'Etat a longtemps subventionné le développement du parc nucléaire. Il est vrai que le solaire et l'éolien, eux, ne bénéficient pas et n'ont jamais bénéficié du soutien de l'état. Il n'y a pas de tarifs de rachat obligatoires. Il n'y a pas d'obligation d'achat de cette électricité par EDF. Enfin, il n'y a pas de taxe pour financer les surcoûts de ces énergies. EDF, quant à elle, n'a jamais porté la dette attachée à la construction des réacteurs, cette dette n'a jamais été remboursée par les factures des clients qui pourtant bénéficient depuis longtemps maintenant de tarifs parmi les plus bas d'Europe. Pour résumer, il semble que lorsque l'état fait construire par une entreprise sous son contrôle des installations rentables à des prix inférieurs à ceux qui se pratiquent ailleurs, c'est mal. Lorsque l'état taxe la population pour financer des moyens de production produisant à des prix nettement supérieurs à ceux du marché, c'est bien.

Les auteurs nous affirment aussi que le démantèlement n'est pas financé. Or des démantèlements complets ont déjà eu lieu aux USA, par exemple la centrale de Connecticut Yankee, pour des réacteurs semblables à la flotte actuellement déployée en France, des réacteurs à eau pressurisée (REP). Le régulateur américain, la NRC a donc une certaine expérience en la matière, elle cite des coûts de l'ordre de 400M$ pour des REP de 900MW. Si on compte que les réacteurs français de 900MW sont fermés au bout de 40 ans et ont produit 70% de ce qu'il était possible de produire et que le démantèlement coûte 400M€, le coût du démantèlement par MWh produit est de moins de 2€. Le prix de l'électricité nucléaire a été estimée par le gouvernement à 42€/MWh. Il semble donc probable que les provisions passées par EDF soient suffisantes.

Mais l'argument principal des auteurs porte sur le coût d'installation des différentes sources d'énergies. Ils comptent en termes d'investissement par watt nominal des différentes installations, qui ne représente que la puissance maximale. C'est pourquoi les auteurs disent à un moment qu'il faut normaliser pour prendre en compte l'intermittence, ou dit autrement, au moins pour prendre en compte l'énergie effectivement produite. On peut se dire que leur manière de compter n'est pas la meilleure. Cependant, un petit calcul peut donc se faire à partir des chiffres qu'ils donnent en prenant en compte l'énergie effectivement produite par le nucléaire, l'éolien et le solaire par rapport à la production théoriquement possible, c'est-à-dire en prenant en compte le facteur de charge.

  1. Pour le nucléaire, en 2010, le parc installé est de 63GW pour une production de 408TWh soit un facteur de charge de 73.8% (source Statistiques 2010 de RTE, p17). Si on redresse le coût donné par les auteurs, on obtient 4.93€/W.
  2. Pour l'éolien, RTE donne un facteur de charge de 23% (source: Bilan prévisionnel 2011 p71). Le coût devient alors 5.65€/W.
  3. Pour le solaire photovoltaïque, RTE a pris comme hypothèse un facteur de charge de 11% dans le Bilan prévisionnel. Le coût donné par les auteurs est donc de plus de 9€/W.

On peine donc à retrouver les conclusions des auteurs: le nucléaire est toujours moins cher. De plus, cette analyse ne prend pas compte la durée de vie des installations: 60 ans prévus pour l'EPR contre sans doute 20 ans pour les éoliennes, par exemple. Il faudrait donc non seulement payer plus cher à la première installation, mais aussi payer plus tard le renouvèlement pendant que le réacteur nucléaire continuerait à fonctionner. Quant au problème de l'intermittence, il n'est pas vraiment pris en compte par cette simple analyse du facteur de charge: l'éolien par exemple est totalement aléatoire, comme le montrent les compte-rendus mensuels de RTE. C'est-à-dire que durant un même mois, la puissance délivrée par les éolienne peut varier de 70% de la puissance maximale à 1% voire moins en quelques dizaines d'heures, sans relation avec la consommation. Il faut donc prévoir des moyens de production ou de stockage pour les remplacer lorsque le vent ne souffle pas. Vu que le facteur de charge de l'éolien est de 23%, les moyens de production de remplacement produisent 2 fois plus que l'éolien lui-même, de sorte que c'est plutôt l'éolien qui remplace ces moyens flexibles. La logique économique pousse à ce que ces moyens de productions soient des centrales thermiques à flamme, ou dit autrement, utilisant pour la plupart des combustibles fossiles. Ces moyens de productions ne sont pas nécessaires dans le cas du nucléaire, qui produit à la demande sans émettre de CO₂.

L'autre problème des moyens de production intermittents est de savoir s'ils produisent quand on en a besoin. Le solaire peut sans doute trouver à s'appliquer dans les zones proches des tropiques où, non seulement le facteur de charge est supérieur, mais aussi la production photovoltaïque s'accorde au moins en partie avec les besoins de climatisation. Ce n'est pas le cas en France, où la demande est minimale le 15 août et maximale les soirs d'hivers, lorsque le soleil est déjà couché. Quant à l'éolien, une présentation à partir des données de production de RTE montre qu'il ne pourrait être utile qu'en remplacement stochastique des moyens de production fossiles, ce qui n'est même pas assuré avec la production actuelle! Les statistiques de RTE montrent d'ailleurs que l'éolien semble surtout avoir remplacé du nucléaire entre 2005 et 2010. Les perspectives ne sont pas meilleures: augmenter les capacités de production de l'éolien ne fera que renforcer ces problèmes. Une étude du cabinet de consultant finlandais Pöyry avait montré que les prix de l'électricité serait réduits à 0 lors des pics de production éolienne. La part du nucléaire en France serait diminuée en faveur notamment d'une source obscure nommée "autres énergies renouvelables", sans doute la biomasse, mais la part des combustibles fossiles resterait la même. En clair, les conséquences seraient les suivantes: on aurait besoin de cultiver de grandes surfaces d'arbres à pousse rapide (peuplier, eucalyptus, pin) pour produire de l'électricité, on ne diminuerait pas les émissions de CO₂, les tarifs de rachat obligatoires de l'éolien seraient maintenus indéfiniment puisque lors des périodes de fortes production les prix seraient nuls, annihilant la rentabilité potentielle des ces installations, le prix aux clients, lui, augmenterait, en partie à cause de la volatilité accrue des prix de l'électricité.

Pour le dire clairement, il semble fort difficile de voir quels seraient les avantages économiques pour la société dans son ensemble de se payer une forte production d'origine éolienne ou solaire. Les problèmes de l'intermittence sont dantesques et, en plus même sans cela, les énergies renouvelables sont toujours plus chères. Dans le secteur de la production d'électricité, on ne peut en attendre aucune réduction des émissions de CO₂. Plutôt que d'investir dans ces moyens de productions inutiles, il serait sans doute plus efficace d'investir dans l'éviction du fioul dans le chauffage des habitations ou même du gaz, en faveur de chauffage électrique à base de nucléaire et de pompes à chaleur.

1 décembre 2011

La déplorable politique énergétique de François Hollande

Au risque de lasser les quelques lecteurs qui se risqueraient encore en ces lieux, il va de nouveau être question du nucléaire et de l'exécrable accord entre le PS et les Verts.

Et d'abord, il faut bien dire qu'on s'était un peu trompé: les Verts veulent bien le pouvoir et pas seulement imposer leurs idées, si on en croit un article relatant une partie des péripéties entourant la construction de cet accord. Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé désirent bien des places de parlementaires et si la chance leur sourit des postes ministériels. Mais il semble bien que la tactique des écolos ait été la bonne, exiger à la fois des circonscriptions et des concessions politiques donne de bons résultats. Quant au PS, sa porosité aux idées autrefois réservées aux écologistes est maintenant démontrée.

Face à l'orage qu'a déclenché la signature de l'accord, tant à l'intérieur de son parti qu'à l'extérieur, les partisans de François Hollande ont donc essayé d'expliquer tant bien que mal la logique qui présidera à sa politique énergétique. François Brottes, chargé de l'énergie dans la campagne du candidat socialiste, a donné une interview au Monde, puis François Hollande a publié une tribune dans ce même journal.

Dans son interview, François Brottes attaque le gouvernement lorsqu'il doit répondre à l'accusation de fragiliser Areva. Il prétend ensuite que des chantiers de démolition sont des gisements d'emplois considérables et qu'abaisser la part du nucléaire dans la production d'électricité renforcera les compétences en la matière, que les renouvelables vont créer tout un tas d'emplois, que la R&D dans le stockage de l'énergie aussi, alors que cette dernière n'est pas forcément incompatible avec le maintien de la part du nucléaire. Il attaque de nouveau le gouvernement quand on lui demande si sa politique ne va pas augmenter le prix de l'électricité, avant de faire une distinction spécieuse et arbitraire entre consommation d'électricité essentielle et accessoire. Sur la question des rejets de dioxyde de carbone du fait du recours accru aux centrales thermiques à flamme, il répond qu'on le fait déjà — là n'est pas vraiment la question — et qu'il faut diminuer la consommation d'électricité — en brûlant des combustibles fossiles? — et stocker l'électricité provenant de l'éolien et du solaire — la remarque sur la R&D montrant qu'on ne sait pas faire. Je ne suis pas spécialement rassuré par cette interview, mais elle me confirme dans mon opinion des positions socialistes sur le sujet.

Dans sa tribune, François Hollande affirme au départ qu'il faut sortir du tout pétrole pour les transports, pétrole qu'on remplacera par ... ah non, ce n'est pas dit. Pour l'électricité, il s'agit donc de sortir du fameux tout nucléaire. Bref, il s'agit de diversifier les sources d'énergie, ce qui laisse pas d'étonner puisqu'il vient d'affirmer que le nucléaire n'est pas la seule source d'énergie ... puisque c'est du tout pétrole qu'il faut sortir quand il s'agit des transports. On le constate sur ce graphe, extrait du Bilan énergétique 2010 (p33), les sources d'énergies en France sont déjà diverses: Conso d'énergie en France en 2010

Mais foin de tout ceci, ce modèle doit désormais se moderniser et s'adapter, c'est-à-dire que la part du nucléaire doit baisser à 50% dans la production d'électricité. François Hollande reconnaît au nucléaire des avantages, sans les détailler. Cependant, si sa part doit diminuer, c'est que ce mode de production a des défauts qui sont apparemment limités à une question de coûts. L'industrie nucléaire sera donc priée de se taire, en exploitant les centrales qu'on ne fermera pas et en démantelant les autres.

Hollande propose donc d'augmenter la part des énergies renouvelables. Celles-ci ont pour caractéristique d'être plus chères que le nucléaire, ce qui paraît contradictoire avec l'argument de coûts développé auparavant. Mais voilà, les énergies renouvelables permettent de dire qu'on a créé des emplois sympas et ontologiquement bons. Qu'elles puissent en détruire ailleurs n'est pas un problème, on va s'organiser pour que ça ne se voie pas. Car Areva doit apparemment devenir le fournisseur principal (unique?) de tous ces matériels. Autant pour la concurrence dans ce domaine et les compétences accumulées dans le nucléaire.

Quant au problème de l'augmentation du prix de l'électricité, Hollande commence par affirmer qu'à cause de la cherté des nouveaux réacteurs nucléaires, il doit augmenter de toute façon. Il oublie donc de préciser que le prix augmentera encore plus avec sa politique. Il avance aussi un remède miracle pour protéger les consommateurs. L'industrie sera préservée, comme cela se passe dans tous les pays ayant adopté une politique de développement des renouvelables, laissant les particuliers porter seuls les coûts. Hollande va encore plus loin dans ce domaine: le gouvernement va donc définir ce qui est est essentiel et ce qui est juste du confort. On sera donc sans doute prié d'accepter des inspections pour constater qu'on vit bien selon les préceptes de modération en vigueur. À moins que ce ne soit une tarification progressive en fonction de la consommation, ce qui va donc aussi inciter les gens à remplacer l'électricité par des combustibles fossiles où aucune tarification de ce type n'est envisagée.

Hollande nous dit aussi vouloir améliorer l'efficacité énergétique par la diminution des pertes en ligne. Qui ne représentent que 7% de la consommation d'électricité française et dont 2% seulement ont lieu dans les lignes haute tension (Statistiques 2010 de RTE, p15). On voit donc mal comment gagner quoique ce soit dans ce domaine. Un autre moyen d'amélioration serait le stockage de l'électricité. Cela ne peut surprendre: stocker de l'énergie n'améliore pas en soi l'efficacité de son usage, au contraire d'ailleurs, on en dépense toujours en la stockant pour la réutiliser ensuite.

C'est alors qu'on se rappelle que ces énergies renouvelables nouvelles sont éminemment variables, ce qui n'est pas pour rien dans leur abandon pour le charbon au 19e siècle. Tous les mois, on peut constater sur le site de RTE, avec des compte-rendus mensuels, que l'éolien est extrêmement variable, avec une puissance délivrée passant de 1% de la capacité à 70% en quelques dizaines d'heures, avec de longues périodes sans production digne de ce nom. Quant au solaire photovoltaïque, nul n'est besoin d'être sorcier pour s'apercevoir que sa production est pratiquement inexistante lorsqu'on en aurait besoin en France: en début de nuit l'hiver. Face à cette intermittence, l'idée est de stocker l'électricité en surplus. Mais on s'aperçoit que les ordres de grandeurs sont vraiment et absolument délirants avec les technologies actuelles. Il faut aussi noter au passage qu'à l'heure actuelle, l'hydro-électricité sert au suivi de la demande et donc que son potentiel de stockage pour les renouvelables politiquement correctes — solaire et éolien — est encore plus limité.

Comme il n'existe pas de système de stockage d'électricité un tant soit peu crédible, que va-t-il se passer? On va construire des centrales thermiques, notamment au gaz, qui ont la caractéristique de pouvoir réagir rapidement à la demande, d'avoir des coûts relativement proportionnels à leur utilisation et ... d'émettre du CO₂. C'est ainsi que, dans les pays à forte production éolienne, comme le Danemark ou l'Espagne, c'est le thermique qui prend le relais lorsque le vent ne souffle plus, comme on peut le voir en bas de cette page. Comme la moyenne de la production éolienne vaut en gros un tiers de la production maximale, une éolienne est surtout un moyen de baisser d'un tiers les émission d'une centrale thermique à flamme. Selon les propres mots d'un industriel du gaz, ce sont en fait des centrales au gaz. Avec certes moins de CO₂ émis, mais dans des proportions qui n'ont rien à voir avec la réduction nécessaire des émissions, une division par 4. Comme la production française d'électricité est essentiellement assurée par le nucléaire, une avancée trop importante de ces renouvelables va se traduire par une augmentation des rejets de CO₂, alors que l'objectif proclamé était l'inverse. On peut aussi se référer à ce qui se passe en France depuis qu'on encourage ce type d'énergie. p17 des indispensables Statistiques 2010 de RTE, un graphe montre l'évolution annuelle de la production française. On y constate que la production de 2010 et de 2005 sont quasiment égales. La composante thermique à flamme est quasiment inchangée, la production hydroélectrique est en hausse, probablement grâce à une meilleure pluviométrie, la production de renouvelables — essentiellement de l'éolien — est en hausse, le nucléaire est en baisse. Force est donc de constater que l'éolien a surtout remplacer du nucléaire, et n'a aidé en aucune manière à la baisse des émissions de CO₂. Si le parc électrique français voit ses émissions se réduire avec cette politique, ce sera grâce à l'éviction du charbon en faveur du gaz.

Hollande termine en déclarant que ce débat mérite mieux que l'aveuglement et le mensonge. Sans doute parle-t-il en connaisseur, lui qui ment éhontément en ne disant pas que sa politique conduit à la construction de centrales thermiques à combustibles fossiles et à l'augmentation des émissions de CO₂ — et sans doute de méthane — alors que le but proclamé est inverse? Lui qui parle d'aveuglement, alors qu'on peut déjà subodorer que la politique menée est en train d'échouer et qu'il ne parle que de la renforcer?

20 novembre 2011

De l'accord entre le PS et les Verts

Ainsi, après s'être bien tapé du poing sur la poitrine, les Verts et le PS ont fini par s'entendre et signer un accord. Le plus important dans cet accord, c'est ce qui ne figure pas dans le document: la promesse que les Verts seront seuls en lice dans 60 circonscriptions, ce qui devrait leur rapporter 15 députés en cas de défaite de François Hollande aux présidentielles et 30 en cas de victoire. Cette négociation a donné lieu à un spectacle d'un nouveau genre, où les Verts ont intimé l'ordre au PS de rejoindre sa ligne, entre autres sur le nucléaire, pour accepter qu'on leur donne des circonscriptions. Ces distrayantes gesticulations se sont terminées un peu comme elles ont commencé, par un geste envers les militants verts, sous la forme d'une bouderie d'Éva Joly. Il faut dire que lors des primaires, où Éva Joly était le fer de lance des écolos traditionnels contre un Nicolas Hulot plus éloigné des préoccupations principales de la base, le nucléaire et les OGMs, 10% des votants se sont prononcés pour deux candidats dont la principale caractéristiques était soit de trouver Éva Joly trop gentille, soit d'être un militant anti-nucléaire fervent. Et au fond, qu'Éva Joly renonce ou pas à la campagne présidentielle n'a pas grande importance, l'impact politique des Verts se décidera surtout en fonction du résultat des législatives. Si le PS doit compter sur le soutien des Verts pour obtenir la majorité absolue, on entendra de nouveau bruyamment parler de l'EPR de Flamanville et de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Cependant, il serait imprudent de tenir le texte de l'accord pour quantité négligeable. Ce genre d'accord programmatique donne à voir les points de convergences de ces deux partis, une certaine façon de penser et de procéder. Ce qui frappe au premier abord, c'est que les auteur-e-s de ce texte maîtrise-nt à la perfection cette langue rénovée, citoyenne et durable dans laquelle s'expriment désormais les revendications de gauche. Elle ne comprend pas seulement des expressions dont la défense du contraire est impossible, ce qui signe l'absence totale de substance — qui voudrait d'un développement éphémère ou d'un déclin durable? Cette technique est aussi utilisée à droite, il faut donc plus pour se distinguer. À gauche, on utilise donc un champ lexical différent dont, certainement, l'étude a déjà été faite, ainsi qu'un signe de ponctuation, le tiret, pour se soustraire aux lois d'airain de la grammaire française. On peut aussi subodorer que le texte n'a pas été relu. C'est ainsi que, page 9, on apprend que moins d'un salarié âgé de 59 ans sur dix a un emploi. Au début du texte, on trouve aussi une curiosité: il faut dominer la finance. Je n'ai trouvé nulle part ailleurs plus pur aveu de la relation sado-masochiste des politiques avec la finance, activité honteuse mais qui permet de financer les programmes.

Les revendications écologistes ont trouvé leur chemin jusque dans ce texte. Cela s'explique sans doute par la proximité avec les idées qui ont cours au PS. Mais on n'arrive pas à se détacher de l'idée que non seulement, le texte n'a pas été relu, mais aussi que, sur ces sujets, l'ignorance est totale au PS ou qu'alors on se moque totalement de ce qui y figure. Il est écrit dans le texte que la promotion d'une agriculture familiale autonome et vivrière dans les pays en développement (sera) une revendication de la France dans les discussions multilatérales. Le PS, ardent défenseur du progrès social, prône donc le maintien à leur place de tous ces paysans dans les pays les plus pauvres du monde. L'agriculture de subsistance qui est portée ici au firmament est l'activité par excellence des peuples qui vivent dans la misère la plus abjecte. La révolution industrielle a signé la fin de cette agriculture dans les pays développés, amenant une période prospérité sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Si les pays tropicaux, parmi lesquels se trouvent les pays les plus pauvres, sont le lieu aujourd'hui de cultures dites commerciales comme le coton, le cacao, le café, les mangues, les ananas, c'est parce que les conditions climatiques y rendent ces cultures plus profitables qu'ailleurs, c'est un avantage comparatif, ce qui permet le commerce, l'autre cause majeure de la prospérité du monde moderne.

Dans ce texte, il y a bien sûr toute une partie consacrée au nucléaire (p11 sq). Officiellement, il s'agit de parler de transition énergétique, mais à part l'introduction et deux paragraphes à la fin de la partie, il n'est question, de près ou de loin que de diminuer production d'électricité nucléaire. Ce seul fait est en lui-même intéressant: alors qu'il s'agit de lutter contre le dérèglement climatique et l’épuisement des ressources naturelles, il est principalement question de se passer d'un mode de production d'énergie qui ne rejette pas de dioxyde de carbone et dont les perspectives, avec la Génération IV et les réacteurs à neutrons rapides, permettent de régler, en France, avec le stock d'uranium appauvri existant, les problèmes de production d'électricité pour au moins 1000 ans. Pourtant, sur le sujet du nucléaire, il est difficile de penser qu'on n'y connaisse rien au PS. Christian Bataille s'occupe souvent du nucléaire au sein de l'office parlementaire des choix scientifiques et techniques. Cela dit, le nucléaire n'est pas le sujet de prédilection du PS: dans tous les documents du programme, il n'en est question qu'une fois, cela prend un paragraphe sur un document de 30 pages. Tout porte donc à croire que la plupart de ce qui est écrit a été dicté par les écologistes; il est incroyable de constater à quel point leur tactique de négociation a réussi, le PS leur a concédé dans un document programmatique l'arrêt progressif du nucléaire, leur revendication majeure, tout en leur donnant des circonscriptions!

Cette partie sur le nucléaire nous donne à lire un extrait du programme des Verts, programme utopique dont la réalisation demande l'entrée dans une société totalitaire. Comme il faut bien signer avec le PS, ces mesures sont adoucies, mais n'en restent pas moins sévères, et portées à la punition et aux préjugés. Qu'on en juge:

  • Mobiliser tous les leviers (réglementation, fiscalité, formation) visant notamment à réduire la consommation d’électricité. Traduction: l'électricité est trop bon marché en France, on va donc la taxer. Pour ceux qui ont du mal à comprendre, on va leur interdire d'en utiliser plus et leur parler avec des mots simples en articulant. J'ai déjà discuté auparavant de la distribution des taxes en question: seuls les particuliers seront touchés.
  • Une tarification progressive de l’électricité et du gaz permettra le droit effectif de tous aux services énergétiques de base, tout en luttant contre les gaspillages. Comme augmenter les prix de l'énergie des particuliers est contradictoire avec la capacité de vivre dans une société moderne, notamment pour les pauvres, on va demander une feuille d'imposition pour facturer l'énergie. C'est inédit: jusqu'ici, seuls les plus pauvres bénéficient d'un tarif social. On remarque par ailleurs un préjugé: il semble que les pauvres ne gaspillent pas. Au vu des gens qui circulent en vieilles automobiles ou de l'isolation des logements les moins chers, on peut en douter.
  • Nous traiterons efficacement de la question des « pertes d’énergie en ligne », notamment en rapprochant la production de la consommation. En 2010, les pertes ont représenté, en France, 37TWh sur une consommation totale de 513TWh, soit 7% du total. Sur le réseau de RTE, qui regroupe les lignes à haute tension, sans nul doute celles qui sont visées ici, les pertes ont été de 11TWh soit 2% de la consommation totale. (Source: Statistiques 2010 de RTE, p15). On voit mal comment gagner quoi que ce soit de véritablement important de cette façon.
  • Arrêt immédiat de Fessenheim. Si le PS compte finir un réacteur de 1.6GW pour 2016 à Flamanville, il en ferme 2 totalisant 1.8GW immédiatement, alors que les Allemands viennent de retirer 8GW, sans rien prévoir en remplacement et qu'il y a un risque de coupure en France en 2016 à cause de la fermeture probable de centrales au charbon! (cf Bilan équilibre demande 2011 de RTE). Est-ce une décision raisonnable? On voit par ailleurs qu'un échange s'est sans doute fait: fermer Fessenheim tout de suite contre une acceptation (provisoire) de l'EPR.
  • Un plan d’évolution du parc nucléaire existant prévoyant la réduction d’un tiers de la puissance nucléaire installée par la fermeture progressive de 24 réacteurs (...). Le projet d’EPR de Penly (...) sera abandonné. (...) Aucun nouveau projet de réacteur ne sera initié. (...) Un acte II de la politique énergétique sera organisé d'ici la fin de la mandature pour faire l’examen de la situation et des conditions de la poursuite de la réduction de la part du nucléaire. On retrouve ici un plan consistant grosso modo à fermer les réacteurs après 40 ans de service, à ne pas construire de réacteurs de remplacement, et à continuer la même politique après 2025. C'est donc bien un plan de sortie du nucléaire quoique puissent en dire François Hollande et ses subordonnés.
  • La création d’une filière industrielle française d’excellence concernant le démantèlement des installations nucléaires. On retrouve là l'idée des Verts que la démolition des centrales peut constituer une activité d'importance. Cela semble bien difficile, EDF prévoyant que le démantèlement des REP lui coûte environ 20% du prix de construction. Le chantier de démolition de Chooz A serait en ligne avec les coûts prévus, d'après ce qu'a déclaré EDF lors d'une audition publique à l'Assemblée Nationale.
  • Il y a bien sûr le fameaux paragraphe sur le MOX. Comme dit par un retraité du CEA dans le Point, il a sans doute été écrit par des non-spécialistes, mais son intention est claire: entraver le maximum d'activités nucléaires pour aller vers la fin de la filière. Comment expliquer sinon qu'on parle de reconversion du site de stockage des déchets finaux?
  • Nous accélèrerons la recherche sur le stockage de l’électricité. Ce qui signifie en clair que le système proposé par les Verts ne fonctionne pas. La grande variabilité des énergies renouvelables politiquement correctes — éolien et solaire photovoltaïque — impose soit de construire des centrales thermiques consommant des combustibles fossiles, soit de disposer de moyens énormes de stockage de l'électricité. On peut certes augmenter l'usage des barrages, mais ce n'est pas suffisant — et contradictoire avec l'objectif de réduire les pertes en ligne — il faut trouver d'autres moyens. Or il s'avère que les ordres de grandeurs nécessaires à la construction de tels stockages sont délirants, par exemple pour un système d'accumulateurs au plomb. En abandonnant le nucléaire, on lâche la proie pour l'ombre et c'est écrit dans l'accord!
  • La recherche publique (notamment l’activité du CEAEA) sera réorientée prioritairement vers l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, leur intégration dans le réseau et les moyens de stockage, ainsi que vers la maîtrise du risque nucléaire (sûreté, déchets, démantèlement). Traduction: il ne faudrait pas que le CEA ait du succès avec la Génération IV, des fois que les gens la confondrait avec la véritable énergie renouvelable. Bref, le CEA ne fera plus de recherches dans le domaine des applications industrielles du nucléaire, à l'image de ce qui se passe en Allemagne.
  • Quant aux réseaux de transport, leur évolution vers des réseaux plus intelligents sera encouragée sous tous ses aspects pour améliorer les services délivrés, maîtriser les coûts, intégrer une part croissante d’ENR et optimiser l’équilibre offre-demande aux différentes échelles. On se demande bien ce que cela peut vouloir dire. Mis à part bien sûr que la production locale ne peut suffire à tout instant dans le cas d'énergies intermittentes. Il faudra donc augmenter les capacités de transport du réseau — nouvelle contradiction avec la réduction des pertes en ligne — ou rationner.

Il est bien difficile de faire plus idéologique. Et de toute évidence, les négociateurs du PS ont tout gobé, sans doute parce qu'il n'y connaissaient pas grand chose et d'autre part parce qu'ils étaient aussi sans doute proches des idées écologistes. Autant dire qu'un tel étalage de dogmatisme et d'incompétence ne m'incitera pas à aller voter pour François Hollande.

8 octobre 2011

Escroquerie renouvelable

Les opposants à l'énergie nucléaire ont un problème: si on ferme les centrales nucléaires, par quoi les remplacer? On pourrait bêtement penser les remplacer par ce qui existait avant que la décision ne soit prise dans les années 70 de baser la production d'électricité sur la fission de l'uranium: les énergies fossiles, notamment le charbon et le gaz naturel. Ces technologies ont toutefois un gros défaut: elles produisent comme déchet du gaz carbonique, gaz à effet de serre bien connu. Or il se murmure que trop d'émissions amènerait à un réchauffement incontrôlé et important de la planète qui s'accompagnerait d'évènements imprévisibles mais presque certainement néfastes. Il est donc important de proposer des moyens de remplacer les centrales nucléaires par des énergies ne produisant pas de gaz à effet de serre.

C'est pourquoi il est important pour ces opposants de disposer de scénarios intégrant à la fois fin des combustibles fossiles et fermeture des centrales nucléaires. Ces scénarios sont aussi utiles pour ceux qui sont favorables à la continuation de la production d'électricité par l'utilisation de la fission: si ces scénarios ne sont pas crédibles, le nucléaire en sort conforté; s'ils le sont, on pourrait toujours s'en servir comme d'une base pour un scénario différent où le nucléaire pourrait apporter, par exemple, un coût moindre. En France, l'association négaWatt a présenté un scénario actualisé. Tout d'abord, il faut remarquer que ce scénario s'appuie avant tout sur une baisse drastique de la consommation d'énergie. Ce n'est pas étonnant, une part prépondérante de l'énergie finale consommée en France est utilisée dans le secteur des transports — utilisation de voitures, camions, ... — et dans le secteur du chauffage — notamment au gaz naturel. Si on veut sortir du nucléaire ou à tout le moins ne pas avoir à construire de nombreuses centrales, il faut bien faire des efforts en matière de consommation pour se passer de combustibles fossiles.

Cependant, si on se tourne du côté de la production d'électricité, on peut remarquer quelques menus problèmes. D'abord, si on regarde le dossier de synthèse, on voit (p22) un graphe décrivant la provenance de l'énergie consommée en France en 2010. On constate que le charbon n'est pas utilisé pour la production d'électricité, mais seulement dans la sidérurgie et le chauffage, ce qui est en totale contradiction avec ce qu'on trouve dans les documents de RTE, l'entreprise qui s'occupe du réseau de transport d'électricité. Dans le bilan prévisionnel publié cet été, on lit (p83) qu'il y a eu 19TWh d'électricité produite à partir du charbon en 2010. On peut aussi regarder le bilan énergétique publié par le ministère de l'énergie: p21 on voit que la France a importé 11.8 Mtep de charbon et produit 0.1Mtep (p17). Ce qui nous donne 138TWh, 54 de plus que sur le diagramme de negaWatt. Si on fait l'hypothèse que la production d'électricité à partir de charbon a été oubliée, cela nous donne un rendement des centrales au charbon de 35%, ce qui paraît raisonnable. Il semble donc bien que la consommation de charbon pour la production d'électricité ait été oubliée, ce qui ne fait pas très sérieux, s'agissant de la situation de départ.

Sur le diagramme de la p23 du dossier de synthèse, on voit que l'éolien produirait 194TWh soit presque la moitié de la production électrique dans leur scénario. Si on lit la présentation sur les sources d'énergie, les énergies produites et les puissances installées par types d'installations nous sont données. À partir de là, on peut calculer le facteur de charge, c'est-à-dire le rapport de la production réelle à la production théoriquement possible sur une année. Ce qui donne le tableau suivant:


Situation Puissance installée (GW ) Production (TWh) Facteur de charge
Terrestre 48 97 23%
Côtière 8.5 26 35%
Maritime 21 71 38.5%

Malheureusement, les facteurs de charge sont quelque peu ambitieux. Actuellement, le facteur de charge moyen des installations éoliennes est de 23%. Comme on peut supposer que ce sont les meilleurs sites qui sont équipés en premier, le facteur de charge ne peut que décroître à mesure que de nouvelles éoliennes sont installées. Ce qui veut dire que le taux de charge pour les éoliennes terrestres est forcément surévalué. Avec le nombre de sites équipés que cela suppose, le taux de charge sera sans doute plus bas de 2 ou 3 points en réalité. Quant aux taux de charge des éoliennes marines, il semble extrêmement surestimé. L'annuaire statique anglais sur les énergies renouvelables nous donne en effet les taux de charge pour les éoliennes terrestres et marines séparément (tableau p30). En moyenne, le taux de charge des éoliennes marines est en moyenne 4 points au dessus des terrestres, et non 12. Certes, plus on s'éloigne des côtes et plus le taux de charge doit augmenter, mais les 35% et plus ne sont pas accessibles — surtout en moyenne avec des installations de cette ampleur — dans les eaux françaises. Avec ce qui est proposé, la production éolienne est surévaluée avec un ordre de grandeur de 30TWh, soit 15%. Avant d'aborder la question de la variabilité, la production d'électricité paraît clairement surestimée, alors même que le scénario prévoit une baisse drastique de la consommation pour être compatible avec la production. En clair, le plan combine des économies d'énergies impossibles à réaliser et une production insuffisante.

Le scénario de negaWatt prévoit une solution pour la variabilité des énergies renouvelables: ils proposent de fabriquer de l'hydrogène par électrolyse puis de le stabiliser en le transformant en méthane à partir de gaz carbonique (p19 du rapport, p20 de la présentation sur les sources d'énergies). Cependant, ce méthane ne sert pas à produire d'électricité directement. Ce n'est donc pas une solution à la variabilité de l'offre d'électricité, puisque, si les crêtes sont gérées de cette façon, les trous sont toujours à gérer. Pour gérer ces trous, ils proposent d'utiliser plus les stations de pompage — remonter de l'eau dans les barrages: avec le même nombre de stations, ils triplent quasiment le courant produit de cette façon. La production d'hydroélectricité augmente ainsi de 10TWh par rapport à 2010. Par ailleurs, il ne reste que 2.5TWh de centrales thermiques pures (sans cogénération). Au total, il ne reste de purement disponible à la demande que moins de 5% de la production d'électricité; à l'heure actuelle, on en est à 90% voire plus, dont plus de 10% de thermique fossile qui, avec les barrages de retenue, sont les moyens qui font véritablement face aux pointes de consommation — et non aux chutes de production involontaires! Si on ajoute la cogénération dans le scénario négaWatt, on arrive à presque 12% de l'énergie produite. Seulement voilà: la cogénération est censée produire aussi de l'eau chaude, dont on n'a pas forcément besoin lorsque le vent s'arrête ou que la couverture nuageuse est importante. Ce projet prévoit ainsi 21TWh de «micro-cogénération», autrement dit des gens qui produiront de l'électricité avec leur chaudière à gaz. Imagine-t-on que les gens utiliseront leur chaudière pour servir de groupe électrogène lorsqu'ils auront besoin de courant mais pas d'eau chaude ni de chauffage? Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est certainement pas une solution efficace, comme l'a montré autrefois Carnot: les chaudières des habitations ont des températures de source chaude nettement plus basses que les CCGTs.

Mais même ainsi, on n'arrive donc que péniblement à la production disponible à la demande et rapidement comparable à l'actuelle, alors que l'éolien et le solaire sont très imprévisibles, comme le montrent les aperçus de la production en France ou encore les données sur les centrales solaires. Actuellement, pour pallier cet inconvénient, les pays utilisant beaucoup l'énergie éolienne compensent l'absence de vent à l'aide de centrales thermiques au charbon ou au gaz, comme on peut le voir sur cette page, en bas. Ce qui fait que, grosso modo, à chaque fois qu'une éolienne est installée, il faut disposer d'une production thermique disponible supplémentaire équivalente en puissance. Pour couronner le tout, le scénario s'appuie énormément sur le solaire; or l'éclairage est une forte composante de la demande de pointe et il est évident que la demande d'éclairage est directement liée à l'absence de luminosité procurée par le soleil. Autant dire que la façon d'assurer l'équilibre offre-demande à tout instant, essentiel dans un système électrique, est très nébuleuse et paraît extrêmement peu crédible.

Pour conclure, negaWatt surestime la production d'électricité et sans doute aussi les économies d'énergies qui sont raisonnablement réalisables. La production d'électricité est confiée en majeure partie à des sources variables, les moyens de production à la demande disparaissent quasiment pour laisser la place à de la production subie. Il ne reste plus dans le système que ce qui est actuellement prévu pour gérer les pointes de consommation, alors qu'aujourd'hui les centrales produisent principalement à la demande. Prétendre qu'on tient là une alternative crédible aux plans actuels et une possibilité de se passer d'électricité nucléaire, c'est une pure escroquerie. Mais on peut gager que ce scénario servira lors de la prochaine campagne présidentielle et que ceux qui s'en prévaudront ne seront jamais ou presque contredits.

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